Vélo 

Services et Infrastructures

Le vélocipède est un objet technique inventé au début du 19e siècle pour se déplacer grâce à la propulsion humaine mais plus vite qu’en marchant, sur au moins une roue, seul ou à plusieurs, avec ou sans chargement. De la draisienne mise au point en 1817 au vélo à assistance électrique, en passant par le grand Bi (dont la roue avant présente un diamètre très supérieur à la roue arrière) ou le VTT, cette technologie est devenue mode de déplacement au gré de ses transformations matérielles et de l’évolution de ses usages (Dauncey, 2012 ; Héran, 2014). Aujourd’hui, le terme de vélo renvoie à la bicyclette, c’est-à-dire à un deux-roues non motorisé (une assistance électrique à la propulsion humaine est tolérée), distinct de son homologue, le deux-roues motorisé, suite à l’activisme d’associations ayant à cœur qu’il soit traité de façon spécifique dans les statistiques comme dans les décisions publiques. Cet objet en évolution ne peut s’isoler des systèmes socio-techniques dans lesquels il a été conçu, raté, repensé, adopté, utilisé, abandonné, revalorisé… Sans être centrés sur cette approche sociohistorique, les travaux du LVMT combinent les approches temporelle et spatiale pour appréhender les espaces, les pratiques et les politiques dits « cyclables », c’est-à-dire participant de la promotion de l’usage du vélo. 

 

L’usage du vélo renvoie en effet à la constitution, progressive et évolutive, d’un système de pratiques inscrites sur des territoires. Ce système associe infrastructures et aménagements matériels à des dimensions immatérielles : apprentissage, sociabilités spécifiques (Abord de Chatillon et Eskenazi, 2022), manières de faire et de s’habiller (travaux de Claire Pelgrims). Plusieurs pratiques du vélo coexistent : le vélo sportif, le vélo loisir, le vélo voyage, le vélo utilitaire, le vélo logistique… Ces types de pratiques sont soutenus par des valeurs et des représentations du vélo spécifiques, dont l’importance diffère selon les contextes (Eskenazi, 2022). Si aux Pays-Bas la pratique touristique a contribué à intégrer le vélo dans la culture nationale néerlandaise et à ancrer par la suite la pratique utilitaire dans les villes (Ebert, 2004), la pratique sportive reste en France la plus importante, grâce notamment à l’imaginaire associé au Tour de France (Dauncey, 2012). Ce n’est que récemment que l’idée d’un vélo « utile » à l’effectuation des programmes d’activités quotidiens a retrouvé une place dans les représentations et les référentiels politiques français, principalement sous la forme du « vélotaf » c’est-à-dire pour le motif travail. 

 

Le vélo est en effet un objet de plus en plus politique. Alors que la pratique du vélo s’est répandue dans le monde au début du 20e siècle et a décliné en Europe et aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale, c’est aujourd’hui la question de son « retour » qui occupe la recherche et les acteurs. Au LVMT, nous nous intéressons aux trajectoires temporelles dans lesquelles s’effectue ce retour et aux enjeux actuels de l’aménagement de la ville cyclable. Le vélo présente de nombreux avantages au regard des enjeux actuels de mobilité durable et décarbonée, ce qui pose la question de sa relation (complémentarité ou substitution) avec les autres modes. Vaclav Stransky s’est notamment intéressé au développement de l’intermodalité train-modes actifs (Stransky, 2017). Par ailleurs, le développement des politiques du vélo en France s’inscrit dans une dynamique de remise en question de la place de l’automobile dans le système de mobilité. Mais cette évolution du référentiel prend forme de façon plus ou moins affirmée selon les terrains, et la transition d’un système modal à un autre se heurte à de profondes inerties. La crise du COVID-19 a accéléré localement cette transition en faisant évoluer les rapports de force entre acteurs, leurs représentations et leurs outils. Elle a entériné auprès d’un nombre croissant de gestionnaires territoriaux l’idée que le vélo peut être une alternative viable à l’automobile dans les contextes urbains, voire périurbains, à condition de traduire ce crédit en espace alloué au détriment de la voiture (Thébert et al., 2023). L’étude du développement puis de la pérennisation des « coronapistes » (ANR Vélotactique) a permis de documenter plus largement l’effet d’une crise sur la décision publique, les temporalités de l’action collective et l’imbrication entre court et long terme. 

 

Pa certains aspects, le développement du vélo (ou sa « réintroduction ») s’inscrit dans la continuité des « manières de voir et d’agir » (Gallez, 2015) qui ont présidé à la mise en place du système automobile. La conceptualisation du « système vélo » (Héran, 2001), appropriée et revendiquée par les acteurs des politiques vélo, reprend l’approche systémique de l’automobile. Le potentiel de vitesse du vélo -notamment dans les milieux urbains contraints- est décisif dans l’intérêt que lui portent les acteurs de la ville et de la mobilité. En conséquence, marche et vélo n’entrent pas de la même façon dans le paysage des politiques publiques. Seul le vélo est véritablement sorti de l’ornière des « mobilités douces », qui effleurent la ville sans la transformer et sont considérées comme incompatibles avec la rudesse des territoires peu denses et leurs circulations routières. On reconnait ainsi au vélo un besoin d’infrastructures qu’on dénie toujours à la marche (travaux de Jérôme Monnet sur les infrastructures urbaines pédestres), et celles-ci doivent sacrifier à un impératif de fluidité et d’efficacité qui reconduit les questions d’insertion et de cohabitation (avec les autres modes de déplacement et les autres fonctions urbaines) qui se sont posées avec le développement de l’automobile. Les réponses apportées puisent parfois aux sources du fonctionnalisme et de ses flux ségrégués. L’apparition de la terminologie des « mobilités actives » manifeste la montée en puissance de la question de la santé dans le référentiel politique mais aussi les enjeux de catégorisation des modes au regard de leur force motrice principale. Celle-ci est déterminante pour divers aspects réglementaires et politiques tels que l’éligibilité au forfait mobilités durables. Elle joue également dans les représentations de ce qu’est un « bon » mode de déplacement et dans la structuration de groupes d’intérêts mobilisés pour leur promotion.  

 

En devenant un mode de déplacement à part entière, le vélo tend à être traité selon le paradigme du transport et de l’offre, en recyclant les méthodes et les savoir-faire de la production du système automobile. Le développement actuel, dans plusieurs agglomérations françaises, des réseaux express vélo calqués sur les modèles néerlandais et danois interroge ce transfert (projet DGITM ViC-RaLe – page à créer) : pour être considéré comme un mode de déplacement pertinent, le vélo doit-il souscrire à l’impératif de vitesse ? Ou peut-il permettre de repenser plus largement les rythmes de la mobilité en les apaisant ? Doit-il, pour se faire une place, se distinguer fermement des autres modes alternatifs à l’automobile et faire valoir des intérêts concurrents ? Les pratiques plurielles du vélo laissent à penser que l’association du vélo à la vitesse ou à la lenteur n’est pas figée, et qu’elle reste à construire. Par ailleurs, la distinction mode actif – mode passif tend aujourd’hui à se brouiller : avec l’évolution du mode de transmission de l’assistance électrique, avec l’apparition des speed-elecs (atteignant des vitesses de 45 km/h et classés dans la catégorie des cycles motorisés pour la réglementation européenne comme le code de la route) et plus largement avec le développement des modes dits intermédiaires (Bigo et al., 2022). La catégorisation de ces différents modèles, qui présentent des capacités d’emport, des fonctionnalités, des vitesses et des encombrements différenciés, est discutée et conditionne l’investissement des acteurs dans leur promotion. Leur diversité est-elle susceptible de rencontrer et de conforter celle des usages et des profils d’usagers ? La question de leur cohabitation se pose en tout cas et les arbitrages ne sont pas simples. Mais on peut espérer que l’unité du « club » des usagers et la convergence d’intérêts communs face au système automobile soit valorisée, au lieu d’une approche modale cloisonnée qui a déjà desservi les politiques de mobilité. 

 

Références :  

– Abord de Chatillon M., Eskenazi M., 2022, Devenir cycliste, s’engager en cycliste : communautés de pratiques et apprentissage de la vélonomie, SociologieS, en ligne. DOI : ⟨10.4000/sociologies.18924⟩ 

 - Bigo et al., 2022, Définition et typologie des véhicules intermédiaires, Transports urbains, 2022/1 (N° 141), pp. 4-8. URL : https://www.cairn.info/revue-transports-urbains-2022-1-page-4.htm 

– Dauncey H., 2012, French Cycling. A Social and Cultural History, Liverpool University 
Press, Liverpool, 290 p. 

– Ebert A.-K.,,2004, Cycling towards the Nation: The use of the Bicycle in Germany and the 
Netherlands, 1880-1940, European Review of History, (11)3, pp. 347–364. 

– Eskenazi M., 2022, Voir, faire et vivre la ville pour le vélo. Pratiques du vélo et politiques de mobilité dans deux métropoles européennes, Thèse : Sciences de l’Homme et Société, Université Paris-Est. 

– Gallez C., 2015, La mobilité quotidienne en politique. Des manières de voir et d’agir, Dossier d’habilitation à diriger des recherches : Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Spécialité aménagement. 

– Héran F., 2001, « Le système vélo », presented at the 3e journée d’étude de la Fubicy, Lyon. 

Stransky V., 2017, Des quartiers de gare favorables aux modes actifs pour une mobilité régionale énergiquement sobre, Flux – Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et territoires, 107, pp. 74-90. 

– Thébert M., Eskenazi M., Adam M., Baudelle G., Chapelon L., Lammoglia A., Lejoux P., 
Marrec S., Poisson A., Zimmermann M., 2023, Public action in times of 
crisis: trajectories of cycling policies in four French cities, in Ortar N., Rérat P. (eds.) 
Cycling through the pandemic: Tactical urbanism and the implementation of pop-up bike 
lanes in the time of Covid19, Springer.