La pétanque est un jeu aux règles simples. Son principe fondamental n’est, ni plus ni moins, qu’une réinterprétation des grands modèles d’économie spatiale : plus une boule est placée proche du centre du jeu, désigné par un cochonnet (appelé aussi bouchon, but ou bien le petit) et plus elle prend de la valeur. Si le terrain de pétanque était une ville, le cochonnet en serait la place centrale ou bien l’hôtel de ville. Une partie de pétanque oppose donc deux équipes qui luttent pour trouver les meilleurs emplacements possibles à proximité du centre ; la première équipe à atteindre le chiffre magique de 13 bons placements gagne. Toute l’animation du jeu tourne donc autour du cochonnet et de la conquête de cet espace central ; pour marquer des points à la pétanque, il est nécessaire de gagner la bataille du centre.
Gagner la bataille du centre
La plupart du temps, le joueur de pétanque se comporte comme un promoteur immobilier. Puisque la valeur de ses boules augmente à mesure qu’il les rapproche du cochonnet, il va systématiquement rechercher l’investissement le plus central possible. Toute sa stratégie de jeu vise à réduire la distance entre sa boule et le cochonnet. A la pétanque, la localisation parfaite existe. Elle est atteinte lorsque la distance entre la boule et le cochonnet est nulle et qu’il est a priori impossible pour les autres joueurs de faire mieux. Dans le jargon, on dit alors que la boule a têté.
Comme l’espace autour du cochonnet est très convoité, il n’est généralement pas facile d’accès. Le chemin vers le centre peut rapidement devenir très encombré par les boules de l’équipe adverse ou bien celles de sa propre équipe ; le détour n’est pas une option à la pétanque, tous les joueurs empruntent, à peu de choses près, la même artère principale. La progression vers le cochonnet demande donc aux équipes de bien s’organiser et de déterminer précisément les rôles de chacun.
Les équipes se décomposent en deux grands groupes d’acteurs. Les pointeurs sont les premiers à jouer, ils prospectent le terrain et sont à la recherche du meilleur emplacement possible. Les tireurs n’interviennent que dans un deuxième temps, ils sont là pour déloger l’adversaire et aider leur équipe à conserver une position acquise auparavant. On pointe pour marquer un point et on tire pour défendre un point. Chez les joueurs confirmés, on rencontre des tireurs d’élite qui, non content de chasser la boule adverse, lui prennent sa place. Quand c’est réussi, le coup porte le nom de carreau.
D’autres stratégies, moins radicales, sont possibles pour s’approcher du centre. Certains pointeurs vont se servir de la boule d’un adversaire pour faire dévier la leur en direction du cochonnet ; c’est ce qu’on appelle faire un bec (ou une Pivano). Enfin, quand l’équipe adverse a bloqué tous les accès au centre et qu’elle n’a plus de boules à lancer, alors une autre stratégie possible est de faire intervenir son propre tireur pour lui demander de déplacer le cochonnet et de créer un nouveau centre. Mais force est d’admettre que c’est une stratégie audacieuse et que vouloir créer une ville nouvelle a toujours été un pari osé.
Un jeu moderne dans l’air du temps
La pétanque est le jeu populaire par excellence, et dans tous les sens du terme.
En matière d’équipement, la pratique de la pétanque demande un investissement très modeste. Il convient d’avoir à sa disposition un jeu de boules, aussi appelé triplette – trois boules identiques – dont les moins chères peuvent s’obtenir pour quelques dizaines d’euros. A la pétanque, et à l’inverse de bien des sports, les équipements les plus modernes ne sont pas forcément plus performants que les plus anciens. Les greniers et les caves sont remplis de jeux de boules tout à fait compatibles avec une première expérience de jeu. Aucune tenue particulière n’est exigée, la pétanque peut se jouer en short, en jeans, en jupe, vêtu d’une chemise ou bien d’un débardeur, et chaussé de sandales ou bien de baskets. Si la pétanque compte autant d’adeptes, c’est aussi qu’elle se joue à peu près sur n’importe quelle surface pourvu qu’elle soit légèrement meuble et que les distances de jeu soient respectées. Il existe des espaces dédiés, appelés boulodrome, qui sont en très grande majorité publics et libres d’accès. Mais un terrain de pétanque a ceci d’unique qu’il peut s’improviser à peu près n’importe où en extérieur, dès lors que le sol peut permettre à une boule de rouler et d’être freinée (par du sable, des gravillons, etc).
La pratique de la pétanque a quelque chose de profondément inclusif. Sa capacité à produire du lien social dans des directions totalement inattendues n’est plus à démontrer et bien malin celui ou celle qui se risquerait à définir la sociologie du joueur de pétanque. Sur un terrain de boules, le retraité côtoie l’actif, le cadre sup l’employé du bâtiment, l’étudiant son professeur, l’immigré l’autochtone, l’urbain le rural, le maire du village ses administrés… A croire que la pétanque fait bien plus pour la mixité que nombre de politiques publiques. Autrefois présentée comme le jeu masculin par excellence, la pétanque se féminise et devient une pratique de moins en moins genrée. Et ultime corde à son arc social, la partie de pétanque est l’un des rares temps capables de faire s’amuser trois générations sur un même terrain de jeu extérieur.