La notion de mode de transport a émergé aux Etats-Unis dès les années 1940 dans les milieux opérationnels des transports et en ingénierie du trafic. L’émergence de cette notion visait à quantifier les flux de déplacements pour alimenter les modèles de trafic et ainsi définir les besoins en infrastructures dans le développement des territoires. L’objectif majeur était de mieux comprendre et structurer les systèmes sociotechniques des sociétés et des territoires à l’heure de l’urbanisation et de la croissance (Chatzis, 2023 ; Commenges, 2013 ; Stouffer, 1940).
Bien que la notion de mode, dans sa version substantivée masculine, soit aujourd’hui couramment employée par tout un chacun, les dictionnaires, dont le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), en donnent une définition assez large : « forme particulière sous laquelle se présente un fait, un phénomène ». Elle laisse la possibilité d’une réappropriation selon la manière dont les acteur.rices l’approchent. La notion de moyen de transport, souvent utilisée de manière interchangeable avec mode, est, à l’inverse, plus restrictive et préférée par les dictionnaires pour désigner ce qui sert aux individus à se déplacer (TLFI, 2023).
Dans une logique inductive, les pratiques et les savoirs au sein des sociétés des pays des Nords ont amené à une formalisation des systèmes de transport à l’aune d’un triptyque modal : transports individuels (avec la prédominance de la voiture face à la marche et au vélo), transports publics (par ex. : bus, métro, train) et taxis/VTC (Boutueil, Quillerier et Voskoboynikova, 2019). De cette approche est apparue une définition du mode communément admise :
« une activité de transport fondée sur un système technique particulier (routier, ferroviaire, aérien, etc.). Chaque mode se caractérise par l’infrastructure dont il a besoin pour fonctionner, les capacités et les performances permises (portée, vitesse, débit, etc.). L’ensemble des modes offrent la possibilité de transporter indifféremment des biens et des personnes. » (Libourel et al., 2022, p. 16)
Cette notion, et les catégories qu’elle sous-tend, sont désormais structurantes dans les politiques publiques et dans les milieux professionnels des transports et de la mobilité avec, par exemple, les Enquêtes Globales Transport (EGT). Les différents modes sont catégorisés par des caractéristiques permettant une distinction nette entre chacun des modes, comprenant : la mécanisation, la vitesse, la capacité, la fréquence, le coût, la consommation énergétique, le niveau d’investissement, les pollutions, les risques accidentels ou encore l’empreinte sur les paysages (Libourel et al., 2022, p. 16). Le terme de mode est d’autant plus utilisé qu’il a amené à la formalisation d’autres notions et concepts structurant des projets de recherche, par exemple : part modale, report modal, multimodalité, intermodalité ou encore modes actifs.
Le mode est aussi, et avant tout, un enjeu politique puisqu’il regroupe des communautés d’acteurs et institue, plus généralement, des systèmes d’acteurs. Ces coalitions d’acteurs participent à la catégorisation des modes de transport. En France, pour le transport de passagers, l’Union des Transports Publics (UTP) rassemble les acteurs du transport public, le Comité des Constructeurs Français de l’Automobile (CCFA) les constructeurs automobile, l’Association des Acteurs de l’Autopartage (AAA) pour les acteurs de l’autopartage ou encore la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB) pour les cyclistes. La répartition des compétences au sein des collectivités locales confirme ce découpage : les intercommunalités, Autorités organisatrices de la mobilité (AOM), sont chargées du transport collectif, et les communes, lorsqu’elles ont gardé la compétence, sont détentrices du pouvoir de police de circulation et de stationnement.
Plus récemment, la notion de mode de transport connaît des évolutions sémantiques, discursives et opérationnelles face à plusieurs processus et phénomènes socio-politiques dans les Nords et les Suds. Les transformations des sociétés des Nords et des Suds, liées à leurs transitions numériques, environnementales ou énergétiques, et répondant, entre autres, à des besoins de mobilité parfois inédits, viennent questionner les contours exacts des différents modes, et la notion de mode de transport elle-même.
Par leurs travaux, les chercheur.ses du LVMT sont confronté.es à ces évolutions (entre autres) :
Servicielles : un développement des services d’autopartage, de partage de trajet (par ex. : covoiturage), de transport à la demande ou encore de véhicules en libre-service.
Opérationnelles : un essor et une généralisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la mobilité et les transports (par ex. : MaaS, automatisation, géogardiennage).
Politiques : une reconnaissance progressive de « nouveaux » acteurs des mobilités (par ex. : plateformes numériques de mobilité, nouveaux opérateurs ferroviaires) et la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques, dont des procédures de mise en concurrence et le transfert de données de mobilité.
Epistémologiques : une intégration (ou non) de ces nouveaux services de mobilité aux typologies existantes, développement des approches qualitatives des modes de transport (par ex. : la sécurité dans les transports), ou encore un dépassement de la vision hégémonique des modes depuis les Nords avec l’intégration des Suds (par ex. : reconnaissance des transports dits informels dans la recherche).
Sociales : une évolution des pratiques de mobilité des individus avec l’arrivée des « nouveaux » services de mobilité et les enjeux que les sociétés contemporaines connaissent (par ex. : un mode de transport par rapport aux enjeux de genre).
Environnementales : une intégration progressive des enjeux environnementaux (par ex. : électrification des flottes de véhicules, réduction de l’usage de la voiture individuelle, usage des transports dits collectifs).
Références:
– Boutueil V., Quillerier T. et Voskoboynikova A., 2019, Benefits and Pitfalls of Deregulating Taxi Markets: Can Contrasted Case Studies Help Inform the Debate? Transportation Research Record, 2673(11), pp. 726736.
– Chatzis K., 2023, Forecasting Travel in Urban America. The Socio-Technical Life of an Engineering Modeling World. Massachusetts, The MIT Press, 416p.
– TLFI, 2023, Mode (substantif masculin) [En ligne], CNRTL. Disponible sur : <https://www.cnrtl.fr/definition/modes> (consulté le 08/11/2023).
– Commenges H., 2013, L’invention de la mobilité quotidienne. Aspects performatifs des instruments de la socio-économie des transports. Thèse de doctorat : géographie : Paris, Universté Paris-Diderot-Paris VII. 392p.
– Libourel E., Schorung M. et Zembri P., 2022, Géographie des transports. Territoires, échelles, acteurs. Paris, Armand Colin éditions (Collection U). 288p.
– Stouffer S. A., 1940, Intervening Opportunities: A Theory Relating Mobility and Distance. American Sociological Review, 5(6), pp. 845-867.