Le terme de « desserte » est particulièrement utilisé dans le domaine des transports, plus spécifiquement dans le domaine ferroviaire. Pourtant, il est peu défini et il peut parfois être question d’un territoire desservi, de la desserte (ou de la non-desserte) d’une gare ou encore d’un type de desserte (« desserte à grande vitesse », « desserte fine du territoire », etc.). Ces usages révèlent les différentes dimensions articulées par cette notion. Pourtant, les définitions s’attachent souvent à l’une ou l’autre de ces dimensions. Ceci est également illustré par les traductions les plus courantes de « desserte ferroviaire » en anglais (railway service ou train service) : « offre ferroviaire » ou « service ferroviaire » sont utilisés comme synonymes bien qu’ils ne traduisent qu’une des dimensions de la desserte. Le croisement de deux recherches doctorales menées au LVMT (Perrin, 2020 ; El Khawand, thèse en cours) permet de proposer une définition de la notion de desserte, et également de montrer son apport dans l’analyse des dynamiques territoriales.
Définir la notion de desserte
Dans le Dictionnaire de la Géographie et de l’espace et des sociétés (Lévy et Lussault, 2003), si desserte n’a pas de notice dédiée1, il est cependant question d’un « espace de desserte », des « infrastructures de desserte » ou encore de « la desserte régulière en train de banlieue ». Dans Les mots de la Géographie, elle est définie comme « apport de biens, de denrées, d’informations, à un lieu ou à un ensemble de lieux », « la desserte d’un lieu [étant] organisée par les transports en commun ou par des services spécialisés » (Brunet et al., 2005, p. 153-154). Cette notice rappelle que « le mot est neutre, mais non le verbe : desservir peut-être servir, ou dé-servir ». La desserte est donc associée à l’idée de mouvement organisé (par des systèmes de transport) dans l’espace soit à l’action (le fait de desservir ou d’être desservi) et à ce qui rend cette action possible (les réseaux, comme infrastructure et comme service). S’il est question d’un territoire desservi, un point du réseau (gare, pôle, nœud) est l’interface entre le réseau et les territoires ainsi mis en relation.
La notion de desserte recouvre donc plusieurs dimensions :
– à l’articulation d’un espace considéré comme desservi avec les espaces avec lesquels il est mis en relation, dont la gare (ou le nœud du réseau) est l’interface ;
– à ce qui rend possible cette mise en relation : les réseaux dans leurs dimensions matérielles (infrastructures) et servicielles (offres) ;
– au mouvement, soit les flux et les mobilités spatiales.
Afin de traduire ces différentes dimensions, la desserte peut alors être définie comme « l’organisation et l’appropriation de la mise en relation des territoires » permise par un service de transport (Perrin, 2021). La notion de desserte s’inscrit dans une approche multiscalaire et relationnelle des territoires (Cattan, 2004 ; Berroir et al., 2017). Elle permet d’analyser les différentes dimensions des réseaux (support et service) (Boursier-Mougenot et Ollivier-Trigalo, 1993) et les mobilités effectives.
L’étude de la desserte met en lumière différents systèmes : des systèmes spatiaux (la mise en relation et l’articulation de territoires à différentes échelles), des systèmes techniques sur lesquelles elle repose et des systèmes d’action. Sur ce dernier point, en effet, l’agencement de ces systèmes spatiaux et techniques mobilise différents acteur.rice.s de l’aménagement, du transport, de la mobilité, du territoire que ce soit à l’échelle micro-locale, locale, régionale ou macro. L’étude de ces systèmes d’action permet de rendre compte à la fois des processus décisionnels quant aux projets d’aménagement et de transport, mais aussi des représentations associées à la desserte. Ces dernières décennies ont été marquées par un renouveau des projets ferroviaires, tant dans des territoires urbains, périurbains ou même ruraux : ceci se traduit également dans la manière dont ils sont appréhendés, à l’exemple du modèle du Transit Oriented Development (TOD). Aussi, et en particulier dans des territoires en situation périphérique ou peu denses, la desserte ferroviaire et son évolution sont mobilisées par une multitude d’acteur.rice.s qui se saisissent de ce potentiel perçu comme porteur d’attractivité, comme outil d’aménagement, comme réponse à des problématiques sociales ou économiques locales. Ces visions de la desserte tendent à créer des effets paradoxaux sur les conditions d’accès des habitant.e.s et d’accessibilité de ces territoires (El Khawand, 2023), notamment en renforçant des situations de dépendance à la mobilité (Fol et Gallez, 2017), liées à l’accès aux services et aux aménités ainsi qu’aux injonctions à la mobilité. Par ailleurs, la desserte et son évolution s’accompagnent également d’un discours de rentabilisation par les opérateurs et les acteur.rice.s locaux, qui cherchent à densifier et à développer l’offre d’aménités, de logements, d’emplois et de mobilité douce autour d’un pôle, pouvant renforcer les décalages entre les projets et leurs mises en œuvre.
Desserte et dynamiques territoriales
Cette approche de la desserte a guidé plusieurs travaux de recherche menés au LVMT, offrant ainsi une grille de lecture des dynamiques territoriales dans différents contextes socio-spatiaux. En appréhendant la desserte dans sa complexité et à travers ses différentes dimensions, trois apports principaux ont enrichi les analyses menées, au-delà des infrastructures et services ferroviaires.
Le premier apport concerne la possibilité de mener une analyse multiscalaire, c’est-à-dire de comprendre les systèmes spatiaux de différentes échelles articulés par un pôle ou une gare (leur fonction de porte d’entrée du territoire), et la hiérarchie des territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Le deuxième apport de cette notion est le rôle des acteur.rice.s ainsi mis en évidence. En effet, les potentiels offerts par une desserte évoluent et la façon dont ils sont saisis varie également d’un territoire à l’autre comme dans le temps. Elle permet d’éclairer les processus décisionnels autour des interactions entre réseau et territoire, tout comme les processus d’appropriation par les habitant.e.s ou voyageur.se.s des potentiels offerts. Également, la desserte offre une grille d’analyse des problématiques d’accès et d’accessibilité dans les territoires desservis. L’accessibilité est souvent réduite à deux dimensions : l’accès la gare (parfois au pôle d’échange multimodal) et l’accès à d’autres territoires (les territoires mis en relations par cette gare). Cependant, l’accessibilité renvoie aussi à des questions d’accès aux aménités, au logement, à l’emploi et qui dépendent fortement des situations propres aux habitant.e.s du territoires.
Références:
– Berroir S., Cattan N., Dobruszkes F., Guérois M., Paulus F., Vacchiani-Marcuzzo C., 2017, Les systèmes urbains français : une approche relationnelle, Cybergeo, n° Document 807. [https://doi.org/10.4000/cybergeo.27945]
– Boursier-Mougenot I., Ollivier-Trigalo M., 1993, La territorialité du réseau SNCF, FLUX, n°12, p. 19‑28. [En ligne : https://www.persee.fr/doc/flux_1154-2721_1993_num_9_12_951]
– Brunet R., Ferras R., Théry H., 2005, Les mots de la géographie : Dictionnaire critique – 3ème édition revue et augmentée, La Documentation Française (Dynamiques du territoire), 518 p.
– Cattan N., 2004, Le monde au prisme des réseaux aériens, FLUX, n°58, p. 32‑43. [https://doi.org/10.3917/flux.058.0032]
– Fol S., Gallez C., 2017, Évaluer les inégalités sociales d’accès aux ressources. Intérêt d’une approche fondée sur l’accessibilité, Riurba, n° 4. [En ligne : https://shs.hal.science/halshs-01683489/document]
– El Khawand M., 2023, Les effets paradoxaux de la desserte ferroviaire des territoires périurbains : Le cas de Creil et de La Roche sur Foron, Séminaire « Les villes moyennes françaises : mobilité(s), trajectoires et enjeux territoriaux », Marne-la-Vallée, 15 juin.
– Lévy J, Lussault M. (dir.), 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin (Hors collection Histoire et géographie),1128p.
– Perrin J., 2021, La territorialisation des gares franciliennes de la grande vitesse face aux mutations du modèle TGV. Une analyse par la desserte du cas de Marne-la-Vallée Chessy, Position de thèse, Géotransports, n°15, p. 87-93. [En ligne : https://www.geotransports.fr/numéro-15]