D’après le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), interurbain est un adjectif désignant ce « qui permet la liaison d’une ville à une autre ; qui est établi entre plusieurs villes ». Parler de mobilité interurbaine désigne donc l’ensemble des pratiques de mobilité réalisées entre deux villes. La nominalisation de cet adjectif permet de concentrer un certain nombre d’enjeux scientifiques sur des personnes ayant des caractéristiques particulières : de la même façon que le nom « urbain » évoque les personnes vivant en ville, que celui de « périurbain » désigne les individus résidant en périphérie de la ville mais connecté fonctionnellement à cette dernière et que « rural » marque l’appartenance résidentielle à un espace de faible densité, nous proposons de définir l’interurbain comme un individu, qui par une pratique de mobilité régulière, est amené à se déplacer entre deux ou plusieurs villes.
Alors que leur nombre ne cesse de croître depuis les années 1990, les interurbains constituent un sous-groupe d’individus peu étudié par la littérature scientifique sur la mobilité spatiale, notamment francophone. Celle-ci s’est davantage concentrée sur certaines pratiques de mobilité quotidienne atypiques, car au-dessus de la moyenne nationale (ou d’un autre seuil jugé « élevé ») en termes de distance ou de temps de trajet (Conti, 2019). L’analyse du vocabulaire utilisé par les chercheurs pour distinguer ces pratiques, souvent liées au travail mais pas uniquement, révèle une certaine homogénéité des termes utilisés : « grande mobilité », « long distance commuters » (Öhman, Lindgren, 2003 ; Sandow, Westin, 2010 ; Holz-Rau, Scheiner, Sicks, 2014), « pendulaires (ou navetteurs) de longue distance » (Viry, Kaufmann, Widmer, 2009 ; Ravalet et al., 2015), « extreme commuters » (Marion, Horner, 2008 ; Maoh, Tang, 2012 ; Moss, Qing, Kaufman, 2012) ou « grand migrant (ou navetteur)» (Le Breton, 2008 ; Orfeuil, 2010 ; Verry, 2014).
Dans un certain nombre de recherches menées au LVMT, il est proposé de privilégier une autre entrée, mobilisant des critères géographiques comme par exemple la condition de fréquentation de deux villes distinctes au cours d’une journée (ou au minimum plusieurs fois au cours d’une semaine). Ainsi dans nos travaux (Conti, 2016 ; Duroudier et al., 2022 ; Conti et al., 2023 ; Le Néchet et al., 2023), nous mobilisons le périmètre fonctionnel défini par l’INSEE dessiné par l’ensemble du centre urbain et de la couronne périurbaine qui lui est associé. Ce prisme « urbain » conduit à l’analyse une grande diversité de métriques de déplacement, y compris relativement courtes.
En France, les interurbains peuvent être étudiés à partir de différentes sources. Les recensements de la population permettent en particulier de caractériser les actifs (ceux qui se déplacent pour le motif travail, c’est-à-dire ceux qui vivent dans une ville et travaillent dans une autre). D’après nos travaux, les interurbains représentent en France plus de 10 % des actifs (ayant un emploi), logiquement une part encore plus importante de la distance, de l’énergie consommée et des émissions de CO2 – entre un quart et un tiers du total selon le critère étudié, et présentent une grande diversité de profils socio-démographique et en matière de lieu de résidence et d’emploi. En particulier, les échanges vers, depuis ou entre les espaces périurbains sont largement dominants, et représentent donc des défis d’aménagement particulièrement forts qui sont quelque peu masqués par les tenants de l’approche par seuil de distance ou de temps. Ainsi, l’usage des modes de transport présente une grande homogénéité : la voiture assurant plus de 90 % des trajets. Toutefois, des écarts à cette part modale selon la taille des communes d’origine et de destination (en termes de population) mais aussi la durée du trajet, l’existence d’une offre de transports collectifs performante et la région de résidence sont observés. Ces constats montrent l’importance d’un besoin d’une meilleure prise en compte des interurbains actuels, en devenir, ou au contraire aspirant à ne plus l’être, dans les réflexions sur la dépendance à la mobilité des actifs, la décarbonation des mobilités du quotidien ou encore sur l’évolution des marchés de l’emploi et du logement. Réflexions impliquant nécessairement un jeu d’acteurs complexe de la commune aux régions concernées en passant par les intercommunalités, qui soit adapté au contexte local dans lequel ces mobilités interurbaines ont lieu. Concernant la mobilité, la création des bassins de mobilité dans la LOM (2019) constitue une première étape dans cette considération des enjeux d’intermodalité à cette échelle plus large des déplacements entre villes.
Références :
– Conti B., 2016, La mobilité pendulaire interurbaine en France face aux enjeux du changement climatique : caractérisation socio-économique, analyse spatiale et potentiels de report modal, Thèse de doctorat en aménagement de l’espace, urbanisme, Université Paris‐Est., 388 p.
– Conti B., Duroudier D., Le Néchet F., Aguiléra A., 2023, Mobilités pendulaires interurbaines : analyse longitudinale à l’échelle des villes moyennes. 59e colloque de l’Association de Science Régionale de Langue Française (ASRDLF), Juin 2023, Le Tampon, France.
– Duroudier S., Aguiléra A., Conti B., Le Néchet F., 2022, Essai de typologie des villes moyennes et intermédiaires françaises selon les mobilités pendulaires interurbaines. 4èmes Rencontres Francophones Transport Mobilité (RFTM), Luxembourg Institute of Economic Research, Juin 2022, Esch-sur-Alzette, Luxembourg.
– Holz-Rau C., Scheiner J., Sicks, K., 2014, Travel distances in daily travel and long-distance travel: what role is played by urban form? Environment and Planning A, vol. 46, n° 2, pp. 488-507.
– Le Breton É., 2008, Domicile-travail : les salariés à bout de souffle, Paris, Les Carnets de l’info (Modes De Ville), 216 p.
– Le Néchet F., Aguiléra A., Conti B., Duroudier D., 2023, Déterminants du choix modal et possibilités de report modal pour les trajets interurbains portés par les villes moyennes. 5èmes Rencontres Francophones Transport Mobilité (RFTM), Juin 2023, Dijon, France.
– Maoh H., Tang Z., 2012, Determinants of normal and extreme commute distance in a sprawled midsize Canadian city: evidence from Windsor, Canada, Journal of Transport Geography, vol. 25, pp. 50-57.
– Marion B., Horner M., 2008, Comparison of socioeconomic and demographic profiles of extreme commuters in several US metropolitan statistical areas, Transportation Research Record: Journal of the Transportation Research Board. pp. 38-45.
– Moss M. L., Qing C. Y., Kaufman S., 2012, Commuting to Manhattan, A study of residence location trends for Manhattan workers from 2002 to 2009, New York: Rudin Center for Transportation Policy, New York University, 32 p.
– Öhman M., Lindgren U., 2003, Who is the long-distance commuter? Patterns and driving forces in Sweden. Cybergeo : European Journal of Geography, [En ligne] Systèmes, Modélisation, Géostatistiques, document 243, mis en ligne le 01 août 2003.
– Disponible sur : http://cybergeo.revues.org/4118 (consulté le 08 novembre 2023) ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.4118
– Orfeuil J.-P., 2010, Les Grands migrants au quotidien, In Massot M.-H. (sous la direction de), Mobilités et Modes de vie Métropolitains, Les intelligences du quotidien, Paris : Éditions l’Œil d’Or, 336 p.
– Ravalet E., Vincent-Geslin S., Kaufmann V., Viry G., Dubois Y., 2015, Grandes mobilités liées au travail, perspective européenne, Paris, Economica, 200 p.
– Sandow E., Westin K., 2010, The persevering commuter – Duration of long-distance commuting, Transportation Research Part A. vol. 44, pp. 433-445.
– Verry D., 2014, Mieux connaître pour mieux réduire, Journée d’étude « Le dérèglement climatique : une opportunité commune pour transformer le transport urbain ? », CODATU, 14 octobre 2014, Paris.
– Viry G., Kaufmann V., Widmer E. D., 2009, La grande mobilité géographique pour des raisons professionnelles en Suisse : une étape de vie préparentale ? Recherches familiales, n° 1, pp. 67-80.