Le temps n’existe pas. Il est le fruit d’une abstraction dérivée du mouvement dans l’espace des entités matérielles. Nous utilisons l’espace, généralement perçu comme stable, pour décrire les changements temporels. En spatialisant le temps grâce aux mouvements réguliers tels que ceux du soleil, du sable dans un sablier ou des aiguilles d’une montre autour de son cadran, nous parvenons à lui donner une réalité tangible et consciente. Nous pouvons ainsi appréhender la durée, c’est-à-dire la longueur temporelle, ainsi que l’horaire, qui représente sa position dans l’espace.
En lisant Bergson (Bouilloud & Fournout, 2018), on comprend que nos problèmes temporels contemporains comme le sentiment d’urgence, de manque de temps, de désynchronisation ou encore d’anxiété sont liés à des problèmes spatiaux. Nous vivons dans un temps vécu et subjectif (la durée) que nous pensons avec des métaphores rationnelles de l’espace.
Les travaux d’Heidegger sur le « Dasein »1 explicitent en quoi la spatialisation de notre rapport au temps peut poser problème dans les sociétés occidentales. Pour l’analyse d’Heidegger, nous nous appuyons principalement sur les travaux du philosophe Christophe Bouton (Bouton, 2018).
Selon Heidegger, l’être humain a une relation particulière à l’espace, caractérisée par le concept de « rapprochement » (Ent-fernung)2, qui consiste à réduire les distances et à abolir ce qui est lointain. La technologie, comme la radio, le téléphone, la télévision, l’avion, amplifie cette spatialité temporelle propre à l’être humain. Elle lui permet de réduire encore davantage les distances spatiales et de rendre le monde plus accessible, le mettant « à portée de main ». Le « Dasein » a par essence tendance à la proximité – à rendre présent spatialement et temporellement.
Grâce à la vitesse des technologies, les endroits autrefois considérés comme éloignés en termes de temps d’accès semblent maintenant beaucoup plus proches, car ils nécessitent moins de temps pour y parvenir. Par exemple, au XVIe siècle (représenté par la France en rose clair sur la carte ci-dessous), il fallait près de 22 heures en diligence pour relier Strasbourg depuis Paris ; tandis qu’en 1897, il ne fallait plus que 7 heures et 20 minutes en train ; en 2020, 1 h 40 en TGV. Strasbourg est donc devenu 13 fois plus proche (en temps) de Paris. L’espace-temps se contracte et se densifie. Au LVMT, l’ensemble de ces réflexions conceptuels font notamment écho avec les travaux d’Alain l’Hostis, sur la notion d’accessibilité-temps (L’Hostis, 2014) et la grande vitesse ferroviaire.
Références:
– Bouilloud, J.-P., & Fournout, O. (2018). Accélération et bourrage du temps : Les enjeux de la perception du temps dans la modernité. In @ la recherche du temps (p. 125‑141). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.auber.2018.01.0125
– Bouton, C. (2018). À la recherche de l’espace. Hyperconnexion, rapprochement et dé-localisation. In @ la recherche du temps (p. 151‑165). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.auber.2018.01.0151
– L’Hostis, A. (2014). Le détour, la pause et l’optimalité, Essai sur la distance et ses apports au transport et à l’urbanisme [Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), Université Paris-Est]. https://hal.science/tel-01081570/
Source: C. Colson, Transports et tarifs (Paris, 1898), p. 89