- Accessibilité
Auteur : Caroline Gallez
Le terme d’accessibilité est largement utilisé en géographie, en aménagement, en économie et en ingénierie des transports, dans les domaines des « études de planning » (planning studies) et des « études urbaines » (urban studies). Il s’agit d’une notion multidimensionnelle dont la définition et l’usage sont souvent implicites ou relativement flous. L’un des premiers auteurs à avoir proposé une définition scientifique de l’accessibilité est Walter G. Hansen, spécialiste américain de la planification, en 1959, qui désigne l’accessibilité comme le “potential of opportunities for interaction”, c’est-à-dire comme une mesure de l’intensité de la possibilité d’interaction 4 . Cette définition croise les deux dimensions de base de l’accessibilité dans l’acception courante des aménagistes, à savoir la répartition spatiale des opportunités (plus la densité d’opportunités est élevée, plus l’accessibilité est importante : par exemple, plus le nombre d’emplois d’une zone est élevé, plus l’accessibilité des habitants de la zone aux emplois est importante) et la facilité d’accéder à ces opportunités (qui dépend de leur distance par rapport à un point donné et des moyens de transport pour y accéder). Les indicateurs d’accessibilité les plus courants dans cette catégorie d’indicateurs géographiques (« placed-based measures ») sont des indicateurs gravitaires, croisant un facteur d’attraction (fonction de la densité des opportunités au sein d’un espace donné) et un facteur d’impédance (en général inversement proportionnel au carré de la distance). En dehors des dimensions relatives à l’aménagement et aux transports, d’autres facteurs ont progressivement été pris en compte dans la mesure de l’accessibilité. En particulier, certains indicateurs visent à tenir compte de la compétition entre les individus pour accéder à telle ou telle opportunité (par exemple la compétition entre les demandeurs d’emplois) : plus la compétition est élevée, moins le potentiel d’opportunités est important. En s’appuyant sur les apports de la Time Geography (Hägerstrand, 1985), certains auteurs ont proposé d’intégrer la dimension temporelle de l’accessibilité. De nombreuses opportunités ne sont accessibles que pendant une durée de temps donnée (cf. horaires d’ouverture d’un commerce ou d’un service, amplitude horaire d’une ligne de transports collectifs, etc.) ; à ces contraintes temporelles liées aux opportunités ou au système de transport s’ajoutent les contraintes d’emploi du temps des individus, voire de compatibilité des emplois du temps de plus individus (lorsqu’il s’agit par exemple de se donner rendez-vous pour faire une activité collective en un lieu donné). Enfin, dans le champ des études urbaines, de très nombreux travaux ont été consacrés à l’analyse des différences d’accessibilité entre les individus ou les groupes sociaux, pour essayer d’évaluer, par exemple, les effets du niveau de ressources, de la catégorie sociale, de l’origine ethnique, du genre sur l’accessibilité à l’emploi, aux soins, aux commerces, etc. Ces études s’appuient le plus souvent sur des indicateurs d’accessibilité géographique désagrégés par catégorie sociale, ou bien estimés pour certaines zones (habitants des quartiers d’habitats social par exemple). Certains indicateurs utilisent des données très désagrégées (utilisant des données GPS), d’autres des données issues d’entretiens qualitatifs individuels, produisant dans les deux cas des mesures très fines de l’accessibilité mais difficilement généralisables. Ce rapide état des lieux des travaux sur l’accessibilité dans le champ académique donne un aperçu de la diversité des définitions de cette notion multidimensionnelle. Alors que certains auteurs, notamment dans le domaine des transports, se focalisent sur la facilité d’accéder à différents lieux de destination (“the ease with which any land-use activity can be reached using a particular transport system”, selon Burns et Golob, 1976), d’autres insistent sur l’aspect de potentiel d’interaction sociale pour les individus (“a measure of the ease of an individual to pursue an activity of a desired type, by a desired mode, at a desired time”, selon Bhat et alii, 2000). Dans le domaine spécialisé des transports, on peut observer que la définition de l’accessibilité a souvent été limitée à la facilité d’accéder aux lieux, renvoyant aux performances des réseaux de transport (mesurées notamment en termes de vitesse). Plus récemment, on parle d’accessibilité en relation à la problématique de l’accès aux transports et aux lieux des personnes en situation de handicap.
Pour ma part, je me suis intéressée à la notion d’accessibilité en lien avec la problématique des inégalités sociales d’accès aux ressources urbaines, dans le cadre d’un travail réalisé avec Sylvie Fol pour la Fondation Volvo (Fol et Gallez, 2014) et, plus récemment, dans le cadre de mon mémoire d’HDR (Gallez, 2015). Plusieurs aspects m’intéressent plus spécifiquement dans cette notion : en raison de son caractère multidimensionnel, la notion d’accessibilité permet de réfléchir à la question de l’accès aux aménités urbaines de manière transversale, c’est-à-dire en adressant cette question à différents champs de l’action publique (les transports, mais aussi le logement, l’aménagement urbain ou encore les politiques sociales). L’accessibilité constitue donc, a priori, une notion appropriée pour l’évaluation multisectorielle des politiques urbaines.
Parce qu’elle représente un potentiel et qu’elle peut, en théorie, être mesurée pour différentes zones géographiques ou différents groupes sociaux, l’accessibilité se prête particulièrement bien aux mesures d’inégalités spatiales ou sociales. Il est a priori moins ambigu d’interpréter des différences d’accessibilité que des différences de mobilité entre différents individus ou groupes sociaux, par exemple (la mobilité pouvant être considérée comme une ressource, mais aussi comme une contrainte ou un coût). L’accessibilité peut être associée à différentes conceptions de la justice sociale ou spatiale : par exemple, sous une forme d’indicateur normatif à un panier de « biens premiers », elle renvoie à la notion de justice de Rawls ; sous forme d’un indicateur individuel rendant compte des capacités des personnes à accomplir les activités qu’ils désirent (“functionnings”), elle renvoie à la notion de « capabilité » (capability) définie par Amartya Sen.
En dépit de cette richesse, la notion d’accessibilité présente plusieurs limites. Tout d’abord, les indicateurs quantitatifs de mesure rendent difficilement compte de toutes les dimensions de l’accessibilité. Cette difficulté explique en partie la persistance du recours à la notion de « gain de temps » dans l’évaluation socio-économiques des infrastructures de transport, au détriment de la notion de gain d’accessibilité, pourtant plus pertinente (à ce propos, voir les travaux pionniers de J.G. Koenig sur la théorie de l’accessibilité urbaine, 1974 et 1980). Par ailleurs, l’accessibilité mesure un potentiel, mais rien dans la mesure de ce potentiel ne permet de savoir dans quelle mesure il est ou sera effectivement « actualisé » (i.e. réalisé), ni par qui. De ce fait, de nombreux auteurs travaillant sur les questions d’inégalité et de discrimination préconisent de ne pas s’en tenir à une analyse de l’accessibilité, mais de l’étendre à celle de l’accès effectif aux aménités urbaines. Dans le champ des transports, cette différence entre le potentiel et sa réalisation renvoie à un débat bien connu sur les « effets structurants » des transports : si chaque nouvelle infrastructure de transport ouvre un nouveau potentiel d’accessibilité, la réalisation effective de ce potentiel (pour les individus, en termes d’accès à de nouvelles opportunités ; pour la collectivité, en termes de développement économique et d’attractivité locales) dépendra de la manière dont les agents individuels et collectifs agissent pour se saisir de ces opportunités nouvelles.
- Accessibilité
Auteur : Fabien Leurent
Accessibilité spatiale. En un lieu donné dit « de destination », c’est la facilité d’accès physique pour un individu (ou une firme) depuis un lieu d’origine. On mesure cette facilité en négatif, par des indicateurs de difficulté d’accès (« impédance ») : distance à franchir, temps ou coût de déplacement. Questions liées : * la temporalité de la destination, selonles jours et les plages horaires de disponibilité (ouverture) des services au lieu de destination. * la temporalité des moyens d’accès : selon les conditions dynamiques de circulation pour les modes individuels (marche, deux roues, automobile), selon les plages horaires de service pour les transports collectifs. * la diversité des chemins d’accès, leur qualité de service et l’influence de l’encombrement, leur susceptibilité aux perturbations.
Accessibilité territoriale. Les « biens économiques » (produits ou services) sont des opportunités de consommation offertes à des « demandeurs » (clients potentiels) par des « offreurs » (producteurs ou prestataires), dans des circonstances données d’espace et de temps. Cela vaut en patriculier pour le logement, dont la forme très majoritaire est un « local » établi dans un emplacement fixe. Cela vaut aussi pour l’emploi, considéré comme une opportunité spécifique offerte par un employeur à un actif candidat. Le logement comme l’emploi, aussi bien que divers services (santé, éducation, administration, loisirs…) et commerces, constituent des opportunités situées dans l’espace géographique. Par nature d’opportunité, un lieu donné « porte » un certain nombre d’opportunités – certaines quasiment sans rivalité entre les clients (ex. les commerces), d’autres avec rivalité notamment le logement et l’emploi. Ce bouquet d’opportunités rend le lieu attractif pour des individus. L’accessibilité territoriale, également appelée accessibilité aux activités, étend l’accessibilité spatiale en incorporant l’offre locale d’opportunités. On peut la mesurer, au lieu dit de destination, par un indicateur associant le nombre des opportunités, à l’indicateur d’accessibilité spatiale depuis un lieu d’origine quelconque. Réciproquement, on peut mesurer l’accessibilité territoriale (par nature d’opportunité) à partir d’un lieu d’origine, qui résulte des opportunités établies dans tous les lieux de destination. Comme exemple d’indicateur simple, citons le nombre d’opportunités établies à un certain intervalle de distance (ou temps, ou coût de transport) à partir d’un lieu d’origine : par exemple le nombre d’emplois accessibles en un temps de 20’ à 30’ depuis le domicile. Des modèles plus complexes tentent d’intégrer la valeur économique particulière de chaque opportunité : Cf. les modèles de Hansen (1959), Poulit (1973), Koenig (1975) et Cochran (1975). Leurent (1999) a proposé un modèle « d’accessibilité aux activités vacantes » afin d’intégrer l’occupation des opportunités avec rivalité d’accès.
Questions liées :
- le masquage entre opportunités. Quand deux opportunités sensiblement équivalentes (ex. deux supermarchés de même enseigne) sont établies en deux lieux distincts, seule la plus proche est intéressante pour un demandeur. A partir de son lieu d’origine, la plus proche « masque » la plus lointaine. Le modèle des opportunités intervenantes (Stoufer, 1941) prend en compte, à partir d’un lieu d’origine, la découverte progressive des opportunités localisées.
- la saturation des opportunités. Quel est le nombre d’emplois suffisant, suffisamment satisfaisant, atteignable depuis une origine en un temps (ou coût) de transport donné ?
- comment intégrer la diversité des natures d’opportunité, dans un indicateur agrégé d’accessibilité territoriale « au bouquet d’aménités » ?
Au LVMT, les recherches se concentrent principalement sur l’accessibilité des lieux, qui se distingue de l’accessibilité physique (availability, personnes à mobilité réduite) et de l’accessibilité financière et budgétaire (affordability).
- Accessibilité, vue depuis la géographie
Auteur : Alain L’Hostis
Il existe deux définitions de l’accessibilité dans la littérature académique, l’une purement spatiale (1) et l’autre intégrant une dimension économique (2). Ainsi, l’accessibilité d’un lieu indique la plus ou moins grande facilité avec laquelle on peut atteindre un autre lieu ou un ensemble d’autres lieux (1), pour y effectuer une activité (2). Ces définitions s’appliquent aux personnes et au transport de marchandises. L’accessibilité fait l’objet le plus souvent d’une mesure quantitative qui correspond à une distance géographique, qui peut prendre plusieurs formes, euclidienne ou réseau, et plusieurs unités le temps, les kilomètres ou le coût. Et l’activité fait référence à une interaction sociale ou économique qui justifie l’effort du déplacement optimal (dont rend compte la distance géographique).
Références:
– Burns, L. D., & Golob, T. F. (1976). The role of accessibility in basic transportation choice behavior. Transportation, 5(2), 175-198.Bhat et alii, 2000
– Fol, S. and Gallez, C. (2014) “Social inequalities in urban access : better ways of assessing transport improvements” In : Sclar, E, Lönnroth, M. and Wolmar, C. (eds.), Getting There/Being There : Financing Enhanced Urban Access in the 21st Century City, New York : Routledge, 46-86.
– Gallez, C. (2015). La mobilité quotidienne en politique. Des manières de voir et d’agir (Doctoral dissertation, Université Paris-Est).Poulit (1973)
– Hägerstrand, T. (1985), « Time-geography : focus on the corporeality of man, society and environment », The science and praxis of complexity, 193-216.
– Hansen, W.G. (1959), « ‘How accessibility shapes land use », Journal of American Institute of Planners, 25(1), 73-76.
– Koenig, J. G. (1975), « A theory of urban accessibility ». In PTRC Summer Annual Meeting, University of Warwick, July.
– Leurent, F. (2002), « L’accessibilité aux activités vacantes, un modèle pour l’utilité socio-économique du transport »’, Rapport sur la modélisation du trafic, p.111 www.ifsttar.fr
– Stouffer, S. A. (1940). Intervening opportunities: a theory relating mobility and distance. American sociological review, 5(6), 845-867.