Proposition de chapeau introductif relatif au groupe de travail « Evaluation, Prospective » Auteurs : Natalia Kotelnikova-Weiler, Florent Le Néchet, Mathias Lengyel
Au travers de cinq contributions émanant de quatre chercheurs du LVMT, le lecteur pourra se faire une idée de l’histoire, des enjeux et des débats qui animent aujourd’hui la recherche autour des « nouvelles données » et des «indicateur(s) pour l’évaluation ». Les deux thématiques sont introduites ici conjointement pour mieux mettre en avant les liens systémiques qui les unissent au sein d’un même processus de décision ; la production de données d’une part, leur traitement par le biais d’indicateurs, et l’évaluation d’un objet d’étude d’autre part.
Chacun à leur manière, les quatre chercheurs contextualisent leurs réflexions sémantiques dans un environnement global qu’ils jugent marqué par des bouleversements majeurs porteurs de nouvelles utopies mais aussi de nouvelles questions. Le premier de ces bouleversements étant sans aucun doute l’avènement des technologies numériques.
Si « nouvelles données » il y a, nous rappellent Florent Le Néchet et Luc Charansonney, c’est bien par opposition à d’anciennes données qui étaient produites dans un ancien monde : celui d’avant le digital. Un monde dans lequel des capacités de calculs limités, ne nous permettaient pas de pouvoir produire, diffuser, traiter et de valoriser instantanément des masses de données énormes auxquelles nous avons désormais accès. Les trois autres contributions proposées par Natalia Kotelnikova-Weiler, Luc Charansonney et Mathias Lengyel traitent des termes d’ « indicateur pour l’évaluation ». Loin d’être figés, les indicateurs apparaissent comme étant le reflet d’un environnement sociotechnique au sein duquel et avec lequel ils évoluent. Natalia Kotelnikova met ainsi en lumière la manière dont la prise de conscience des questions environnementales par l’opinion publique modifie les indicateurs mobilisés dans le cadre des évaluations des projets d’urbanismes ou de transport. Le terme d’évaluation apparait quant à lui comme polysémique. Au travers des trois contributions proposées, se dessinent deux types d’évaluations que leurs finalités distinguent. Une première forme d’évaluation viserait à la simple production de connaissances et à la caractérisation scientifique d’un phénomène social, économique ou environnemental. Une seconde forme d’évaluation, plus proche du sens étymologique du terme, viserait quant à elle à attribuer une valeur à un objet analysé ou à un phénomène observé dans l’optique de la réalisation d’un arbitrage. Si la réflexion sur le contenu et les finalités d’une évaluation peut apparaitre clivante tant elle relève parfois de modèles de connaissances différents, l’enjeu semble donc aujourd’hui moins porter sur le choix entre tel ou tel type d’évaluation que sur l’articulation entre différentes approches évaluatives. Reste, précise Luc Charansonney sur un ton humoristique, à ne pas oublier de considérer l’usage qui est fait des résultats issus d’une évaluation, souvent bien éloigné du message de l’évaluateur.
La prospective est l’action d’imaginer le futur, admettant qu’il est incertain et dépend de l’évolution du système étudié. Au-delà de la diversité des domaines auxquels s’applique la prospective, c’est la diversité des approches méthodologiques qui ressort : les approches ingénieures et sociologiques, quantitatives et qualitatives, la modélisation et les récits – tous trouvent leur domaine de pertinence dans la construction de scénarios. Là où les courants scientifiques convergent c’est que la prospective accepte l’incertain du futur et « fait avec » pour appréhender au mieux les évolutions à venir. C’est une démarche opérationnelle optimiste qui refuse de laisser un vide entre le présent et l’avenir et propose de tendre un fil tangible sur lequel on pourrait s’appuyer pour guider nos décisions et actions engageant le futur.
Si les chercheurs s’accordent sur la définition, les modalités divergent et se composent autour de deux axes, comme nous l’explique Caroline Gallez (aménagement et sciences politiques) :
Sur un premier axe on oppose d’un côté la construction de futurs possibles ou probables, de l’autre – des futurs envisageables, potentiels. Le choix des méthodes à mobiliser pour conduire l’exercice de prospective dépend des horizons et objectifs visés, il n’est jamais « pur » et procède toujours par hybridation. L’exercice de prospective est nécessairement pluridisciplinaire, puisqu’a minima une prospective de quelque chose s’inscrit dans un environnement de prospectives de toutes autres choses (supposant, à défaut de disposer de prospectives raisonnables, que les phénomènes seront stables, ce qui est déjà une hypothèse en soi sur le futur), posant nécessairement la question de la cohérence des hypothèses disciplinaires entre elles. Ce dialogue nécessaire entre disciplines est vu aujourd’hui comme l’une des pistes pour répondre aux enjeux de recherche actuels : dépasser les limitations des approches ingénieures d’un côté, sociologiques de l’autre et de la méthode scientifique dans son ensemble ; ancrer la prospective dans les situations locales et la traduire en actions concrètes dans le langage des acteurs ; ancrer la prospective dans le présent afin de définir les actions immédiates qui nous mettront sur le chemin des trajectoires envisagées.
Deux termes illustrent ensuite les challenges opérationnels à mesurer et évaluer les effets d’actions envisagées : la congestion et l’accessibilité. Ces deux termes, polysémiques, sont mobilisés par des champs disciplinaires très différents : ingénierie, aménagement / transport, sociologie, géographie, économie, anthropologie. La façon dont ces concepts sont utilisés dans la littérature scientifique est empreinte d’une grande variété, même si dans chaque cas, des pierres angulaires apparaissent communes (un trafic en excès par rapport à une infrastructure dans le premier cas, un potentiel d’accès depuis un lieu vers des aménités dans le second cas). Il s’agit dans les travaux proches des thèmes du LVMT de concepts opérationnels, au sens où leur valuation faite prend place dans une chaîne de raisonnements, un dispositif d’observation ou un processus de prise de décision. I En croisant ces définitions, on retrouve des questionnements qui se posent successivement quelle que soit l’approche disciplinaire : (i) quelles sont les dimensions couvertes par le terme ? (ex. : congestion d’un axe, d’un quartier, etc. ; accès aux lieux de travail ; aux services urbains ; à la nature ; etc.) ; (ii) quelles sont les définitions utilisées pour opérationnaliser la valuation du terme (de quel point de vue : congestion à un instant t ou récurrente ? accessibilité depuis un groupe social ou un territoire ?) (iii) quels sont les modes de calculs retenus (équations mathématiques, indicateurs quantitatifs ou qualitatifs ; types de données utilisées) ; (iv) comment se fait l’interprétation des multiples valuations produites (évaluation multicritères, indicateur synthétique, intégration à une théorie, etc.) ; (v) comment est mobilisé le concept en aval de sa valuation (aide à une décision sectorielle, support d’un dialogue intersectoriel, révélateur de dynamiques sociales ou territoriales, etc.).
L’impression d’ensemble qui se dégage de la lecture des définitions est celle d’une versatilité remarquable de ces concept qui lui permettent au mieux de coller aux besoins des chercheurs ou des opérationnels qui les mobilisent.
Sommaire Congestion :
- Congestion, vue depuis l’ingénierie par Luc Charansonney
- Congestion, vue depuis l’ingénierie par Fabien Leurent
- Congestion, vue depuis la géographie par Gaële Lesteven
Sommaire Accessibilité :
- Accessibilité, vue depuis l’aménagement par Caroline Gallez.
- Accessibilité, vue depuis l’ingénierie par Fabien Leurent
- Accessibilité, vue depuis la géographie par Alain l’Hostis
Sommaire Données et indicateurs pour l’évaluation :
- Indicateur pour l’évaluation, vu depuis l’économie par Mathias Lengyel
- Indicateur pour l’évaluation, vu depuis l’ingénierie par Natalia Kotelnikova-Weiler
- Indicateur pour l’évaluation, vu depuis l’ingénierie par Luc Charansonney
- Nouvelles données de mobilité, vues depuis l’ingénierie par Luc Charansonney
- Nouvelles données de mobilité, vues depuis la géographie et l’aménagement par Florent Le Néchet
Sommaire Prospective :
- Prospective, vue depuis l’ingénierie par Anne de Bortoli
- Prospective, vue depuis l’aménagement par Caroline Gallez