Territoire

Transition et Planification

La définition du territoire en sciences sociales fait l’objet d’inépuisables débats en France. Qu’est-ce qu’un territoire ? On peut y rechercher un espace vécu, de nature mouvante, ou faire référence aux frontières instituées des découpages administratifs (Lacour, 1993 ; Di Méo, 1998 ; Pecqueur, 2005 ; Vanier, 2008). Il peut également être petit et de proximité, à l’image du quartier, ou vaste et éloigné comme la communauté européenne (Baudelle, Guy, Mérenne-Schoumaker, 2011). L’appartenance d’un individu à un territoire ne serait en outre pas exclusive mais ouverte à la multiterritorialité (Munoz, 2004). De surcroît, il embrasserait une nature symbolique et identitaire (Di Méo, 1998) qui rend possible son abstraction sous la forme de territoires virtuels (Galland, 1999 ; Bertacchini, 2003). Comprenons que le concept s’ouvre à des champs d’appropriation variés et qu’il est vain de vouloir en arrêter une définition universellement partagée. 

 

Aussi, le concept de territoire retenu ici fait écho à des espaces de pouvoir qui ont émergé, et émergent encore, au sein des nations, par la mobilisation d’acteurs en leur sein, et la reconnaissance de leur légitimité à agir. Ces espaces peuvent être de constitution ancienne, mais leur légitimité ou le renforcement de leur pouvoir plus récents, comme c’est le cas des communes ou des régions administratives en France. D’autres sont nés d’évolutions législatives, à l’instar des intercommunalités ou de certains « territoires de projet » (parcs naturels régionaux, pays, périmètres des contrats de développement territorial). Enfin, d’autres encore se construisent de façon plus informelle, sur un périmètre à enjeu particulier, appelant des coopérations entre les acteurs de territoires existants et concernés par cet enjeu. Ce faisant, la présente définition du territoire s’inspire des sciences politiques (Raffestin, 1980 ; Sack, 1983 ; Jean, 2006 ; Vanier, 2008 ; Elden, 2013). En effet, si l’on considère la territorialité comme l’action d’influencer, d’affecter ou de prendre le contrôle des choses, des personnes et des relations par la délimitation et l’affirmation d’un pouvoir sur un espace géographique (Sack, 1983 ; Elden, 2013), alors le territoire recouvre indissociablement unespace géographique multidimensionnel, une communauté humaine et une « technologie politique » (Elden, 2013). 

 

Dans l’influence des travaux d’Heidegger, le territoire comprend de fait un ensemble de connaissances et de savoir-faire pour réguler et aménager un espace géographique donné. Le territoire n’est donc pas réductible à un espace géographique, pas plus qu’il est assimilable à la seule terre appropriée et soumise à un droit du sol ; non, le territoire comprend également des techniques de délimitation, de contrôle et d’aménagement de l’espace (Elden, 2013). Par cette définition, il est possible d’interpréter l’effervescence nouvelle pour le territoire comme la manifestation d’une montée en compétence d’un nombre croissant d’acteurs locaux. Il est par ailleurs évident qu’on parle différemment du territoire en France depuis les lois de décentralisation. L’emprise spatiale d’un territoire est alors de nature mouvante mais le changement peut être particulièrement lent. L’ancienneté du maillage administratif français est là pour nous le rappeler. A contrario, d’autres types de territoires ont des périmètres plus flexibles. Il s’agit par exemple des territoires de projet évoqués précédemment (pays, Parc Naturel Régional…) qui, sur la base d’une coopération interterritoriale, vont produire de nouvelles formes de régulation et de coordination politiques à une échelle tout aussi nouvelle. Par cette définition, les constructions statistiques qu’on peut se donner pour appréhender la géographie restent de l’ordre de l’instrument. Les zones d’emploi, les bassins de vie ou les aires urbaines ne sont pas assimilables à des territoires. Ces espaces peuvent devenir des territoires mais pas avant qu’ils ne fassent l’objet d’une appropriation et de revendications de pouvoir. À ce titre, le Grand Paris – objet discursif déjà ancien – est peut-être en passe de basculer de l’un à l’autre – en devenant une métropole de droit public – et de finalement devenir un territoire à part entière. En outre, par cette définition, on écarte tout type d’ancrage immuable des populations en leur sein. Un individu peut construire simultanément et/ou alternativement son destin au travers de plusieurs territoires ; ce qui tend d’ailleurs à relativiser l’idée d’un territoire de résidence unique. 

 

Références:
– Baudelle G., Guy C., Mérenne-Schoumaker B. (2011), Le développement territorial en Europe, Concepts, enjeux et débats, Rennes : PUR. 
– Bertacchini Y., 2003, Territoire physique/Territoire virtuel : quelle cohabitation, International Journal of Information Sciences for Decision Making, (9), p. 13. 
– Di Méo G. (1998), Géographie sociale et territoire, Paris : Nathan. 
– Elden S. (2013), The birth of territory, Chicago : University of Chicago Press. 
– Galland B., 1999, Espaces virtuels : la fin du territoire ?, In er forum art et science, Le virtuel ou la conscience de l’artificiel, October, Sion (Suisse) : Institut Universitaire Kurt Bösch. 
– Jean B., 2006, Présentation. Le développement territorial : un nouveau regard sur les régions du Québec, Recherches sociographiques, 47, p. 465. 
– Lacour C., 1993, La tectonique des territoires : d’une métaphore à une théorisation, Université de Bordeaux : Institut d’Économie Régionale du Sud-Ouest. 
– Munoz F., 2004, La ville multipliée, métropole des territoriants. L’imaginaire aménageur en mutation, Paris : L’Harmattan. 
– Pecqueur B., 2005, Le développement territorial : Une nouvelle approche des processus de directives pour les économies du Sud, In : Antheaume B. (ed.), Giraut F. (ed.), Le territoire est mort. Vive les territoires !, Paris : IRD, p. 295-316. 
– Raffestin C., 1980, Pour une géographie du pouvoir, Paris : Litec. 
– Sack R. D., 1983, Human territoriality : a theory, Annals of the Association of American Geographers, 73(1), p. 55-74. 
– Vanier M., 2008, Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, Paris : Anthropos.