Le nouvel entrant est une figure obligée des processus de libéralisation des transports. Mais une figure qui peut revêtir de multiples visages, à l’image des processus eux-mêmes, susceptibles de générer plus ou moins de vocations, en fonction de l’importance des barrières à l’entrée sur le marché.
Dans un contexte d’ouverture des marchés, généralisé en Europe depuis les années 1990, les opérateurs en place (opérateurs historiques, incumbents) vont faire face à des nouveaux entrants (newcomers). Ces derniers n’étaient pas présents sur le marché, ou ils ne l’étaient que de façon marginale (comme sous-traitants par exemple).
Une simple menace…
À l’origine de la libéralisation, dès les années 1970, les économistes proposent de lutter contre les rentes de situation des monopoles en ouvrant le marché, ou en menaçant de l’ouvrir.
Cf. théorie des marchés contestables (William Baumol) : La menace que fait peser cette entrée potentielle oblige le monopole à se comporter comme s’il était effectivement en concurrence parfaite, et à vendre au coût marginal. Le monopole ne se distingue alors plus de la situation de concurrence.
La menace et les rumeurs d’entrée sur le marché sont donc susceptibles de faire évoluer les opérateurs historiques sans que leur marché ne soit formellement remis en cause. Elles peuvent servir de prétexte pour renforcer paradoxalement les barrières à l’entrée : cf. la non-réattribution en 2001 des créneaux du groupe Swissair en liquidation sur la plate-forme d’Orly dans l’attente de la constitution d’une compagnie low cost française … qui n’a jamais vu le jour. 30 % de la capacité étaient en jeu. Ils ont été dispersés entre de multiples compagnies qui n’ont pas menacé la prééminence du groupe Air France sur l’aéroport.
Un mutant
Cas de figure devenu classique : un opérateur secondaire profite de la libéralisation pour percer sur le marché, en profitant de son expérience notamment technique et d’une certaine surface financière.
Exemples dans l’aérien : Allegheny Airlines devenant U.S. Airways ou Air Vendée devenant Regional Airlines (ce fut le début de la saga aérienne du groupe Dubreuil qui prospère aujourd’hui avec Air Caraïbes et French Bee).
Exemples dans le ferroviaire : l’opérateur de terminaux portuaires fluviaux Hafen und Güterverkehr Köln (HGK, Allemagne) devenu RheinCargo, Nord-Milano (Italie) devenu TreNord. On passe d’un marché local à une envergure nationale voire internationale.
Autres cas : un opérateur urbain qui se diversifie dans le ferroviaire régional (RATP Dev, Transdev), un opérateur ferroviaire qui s’aventure sur d’autres marchés (SNCF avec Ouibus ou DB avec IC Bus), un opérateur routier qui devient ferroviaire (Stagecoach, Arriva, National Express), une agence de voyages ou un logisticien qui deviennent transporteurs.
Une filiale d’un autre opérateur historique
Dans ce cas de figure, ce n’est pas le grand concurrent, lui-même opérateur historique sur son marché, que l’on va trouver sur son chemin, mais une filiale, créée ou rachetée pour la circonstance.
En aérien, Go (British Airways) et Buzz (KLM) n’ont pas trouvé leur marché. En revanche, Transavia (AF-KLM) ou Vueling (IAG) ont davantage prospéré.
En ferroviaire : La SNCF est ou a été présente au capital de nouveaux entrants comme .Italo (Italie), Westbahn (Autriche) ou Captrain (Allemagne, Benelux, Europe centrale, Italie).
De la même façon, la DB roule en France sous pavillon Euro Cargo Rail et les chemins de fer italiens roulent en Allemagne sous la marque Netinera et sous leur propre nom sur Paris-Lyon (Trenitalia France) après avoir exploité des trains internationaux sous la bannière thello…
La filiale peut se positionner sur tout type de marché : généraliste (Trenitalia, Renfe) mais aussi low cost comme Ouigo, dont il existe désormais une déclinaison espagnole.
Un disrupteur
Cette catégorie de nouvel entrant se positionne différemment des opérateurs historiques. Elle introduit de nouveaux principes de tarification ou de desserte, de nouveaux modes de relation client, etc.
Exemple le plus cité : les transporteurs à bas coûts (low cost carriers). Leur réussite repose sur une structure de coûts originale qui permet de baisser les prix affichés. Mais il y a aussi une structure tarifaire spécifique qui peut se révéler très rentable : prix de base + suppléments.
Ils ont créé un marché, notamment touristique…
Ils desservent des aéroports délaissés par les compagnies classiques, etc.
Dans le domaine ferroviaire et du transport par autocar, cette stratégie développée intialement dans l’aérien a pu percoler.
Plus récemment, d’autres nouveaux entrants disrupteurs ont pu apparaître sur le marché en proposant des liaisons originales visant des marchés non couverts par les opérateurs historiques. C’est par exemple le cas de Kevin Speed, de Midnight Train ou du Train sur le marché ferroviaire français. Le premier se positionne sur des offres à grande vitesse, à forte fréquence et à bas prix au sein du grand Bassin Parisien, en visant des gares peu développées comme Vendôme TGV ou TGV Haute-Picardie, et en les reliant à des gares situées en périphérie de l’Île-de-France comme Massy, Roissy ou Chessy. Le second veut redévelopper le marché des trains de nuit entre les grandes villes européennes, le troisième propose des liaisons régionales à grande vitesse ne touchant pas l’Île-de-France entre agglomérations de la façade atlantique.
Un ou des clients
Cas typique, le chargeur ou le logisticien qui deviennent opérateurs de fret ferroviaire, pour compte propre ou pour compte d’autrui.
Exemples :
- Rail4Chem, alliance de quatre chimistes allemands et suisse (BASF, Hoyer, VTG et Bertschi), qui a fini par être rachetée par Veolia Cargo puis par la SNCF (Rail4Captrain),
- Colas Rail (Bouygues), entreprise de travaux ferroviaires devenant ensuite prestataire pour compte d’autrui,
- Crossrail, émanation de commissionnaires de transport belges et suisses, racheté récemment par le suisse BLS Cargo.
Dans le domaine du ferroviaire voyageurs, on peut également citer Student Agency, agence de voyages tchèque devenue opérateur de services d’autocars à longue distance avant de devenir exploitant ferroviaire sous la marque commerciale RegioJet. Ce dernier est le principal des chemins de fers nationaux tchèques et slovaques, avec des débordements vers la Hongrie, la Pologne et l’Allemagne.
Le nouvel entrant est-il innovant ?
En règle générale, le nouvel entrant n’entre pas sur un marché en reproduisant les organisations et les pratiques des opérateurs historiques.
Il doit se démarquer par un positionnement original, sinon il échoue.
Il doit déjouer des barrières à l’entrée pas toujours explicites : maîtrise d’un minimum de capacité d’usage des infrastructures par exemple, acquisition d’un parc de matériel roulant, etc..
Cela amène à développer des tactiques d’évitement : refus de l’affrontement direct, choix de localisation originaux, etc.
=> Il est donc innovant par nécessité.
Quelques exemples de tactiques :
- Déjouer la saturation des infrastructures, parfois entretenue par les opérateurs en place,
- Déployer des structures de réseaux innovantes,
- Se positionner sur des niches de marché,
- Se positionner en victime des monopoles et chercher à mettre l’opinion de son côté,
- Tester des pratiques / modes d’organisation utiles à des acteurs plus conventionnels