Métropole

Transition et Planification
  • Métropole, vue depuis l’aménagement

Dans le langage courant, le terme de « métropole » renvoie aussi bien à une réalité économique et géographique qu’à une réalité politique et territoriale. En ce début de XXIe siècle, la métropole est devenue l’objet de beaucoup d’attentions. Pourtant, il n’existe aujourd’hui aucune définition partagée ni définitive de celle-ci. Aux origines de cette popularité, il faut relever que de nombreux travaux ont émergé depuis les années 1970, en France comme à l’étranger, pour souligner le développement de villes puissantes à l’échelle mondiale. La concentration sans précédent du pouvoir dans ces villes, et l’ampleur des effets d’entraînement observables dans les territoires sous leur influence, ont justifié le développement du concept de « city region » chez les Anglo-Saxons. Les régions économiques seraient en effet de plus en plus perçues comme des espaces sous l’autorité d’une ville forte ; de telle sorte que la dissociation entre ville et région serait artificielle. En France, et dans une partie de l’Europe, l’existence de régions institutionnelles a probablement justifié la recherche d’une alternative conceptuelle : la métropole. Cette dernière tire ses origines des racines grecques meter, signifiant mère, et polis, signifiant ville. La métropole est la ville mère qui administre un hinterland (arrière-pays). Le terme de «city region » et celui de « métropole » font ainsi référence à des réalités communes. 

x

Avec l’accélération conjointe des échanges mondiaux et des processus de concentration urbaine, l’intuition est grande pour de nombreux auteurs que les villes accroissent leur pouvoir au-delà des frontières nationales. Hall et Raumplaner (1998) identifient très tôt l’importance que revêtent des villes comme New York ou Londres pour la finance et le business international. Les entreprises multinationales, dans un souci d’efficacité productive, procèdent en effet à une division spatiale du travail de grande envergure (Hymer, 1972 ; Friedmann, 1986). En réponse, les fonctions productives se dissocient spatialement des fonctions de commandement ; et ces dernières se sont concentrées dans quelques grandes villes garantissant les conditions optimales de leur exercice : stabilité géopolitique, infrastructures de transport et de télécommunication performantes, cadre de vie attractif… Quelques grandes villes semblent en somme concentrer l’essentiel des pouvoirs politiques et économiques et cette influence est décrite comme nouvelle et propre à une ère de mondialisation. 

x

Par ailleurs, ces villes « puissantes » présentent la particularité de mobiliser et de répartir leurs facteurs de production, non seulement au sein d’une agglomération urbaine, mais également auprès de territoires avoisinants sur lesquels elles exercent leur influence. Comme le relève Veltz (1996), les relations qui lient la ville à son arrière-pays sont très anciennes mais les relations qui unissent des villes à l’échelle mondiale sont plus récentes. Les métropoles seraient alors des carrefours où convergent, se recomposent et se redistribuent des flux de toutes natures (Veltz, 2012). Elles sont, tout à la fois, les portes d’entrée des marchés mondiaux, et les portes de sortie des marchés locaux. Il en résulte un système spatial unifié mais territorialement hétéroclite qui se distingue de la figure dense et compacte de la ville. La percée du concept de métropole traduit ainsi un besoin partagé de qualifier les transformations que connaissent actuellement les villes à l’heure de la mondialisation. Une partie de la littérature scientifique s’attache en ce sens à révéler la nature des ruptures qui s’opèrent et à identifier des attributs dit « métropolitains » (Julien, 1994 ; Kratke, 2001 ; Derudder et al., 2003).

x

Six attributs récurrents sont généralement associés au concept de métropole : 

  • – l’appartenance de la ville au haut de la hiérarchie urbaine ; 
  • – l’existence d’un vaste espace d’influence de la ville au-delà de toute continuité morphologique ; 
  • – la surconcentration de compétences rares et à haute valeur ajoutée ; 
  • – la faculté de réagir et de s’adapter rapidement aux chocs conjoncturels ; 
  • – l’importance du rayonnement de la ville ; 
  • – la mobilisation de synergies économiques à différentes échelles géographiques. 

x

Il demeure que les espaces urbains réunissant toutes ces conditions sont rares et se limitent probablement aux quelques « villes globales » (Paris, Londres, Tokyo, Sao Paulo, Hong-Kong…) décrites par Sassen (2001). Il y a toutefois une grande souplesse d’interprétation qui ouvre à des conceptions extensives de ce qu’est une métropole. Aussi, le concept de métropole ici privilégié est celui de l’espace d’immédiate influence d’une ville ; c’est-à-dire un système urbain intégrateur au sein duquel le destin des territoires est profondément lié. Cependant, le concept de métropole ne renvoie pas exclusivement à une réalité économique et géographique, mais de plus en plus à une réalité politique et territoriale. La première apparition en France des métropoles en tant qu’objet politique s’est ainsi inscrite dans une volonté régalienne d’accroître le pouvoir des grandes villes provinciales : Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Nancy et Strasbourg. Selon certains auteurs, l’influence des gouvernements nationaux se serait en outre affaiblie depuis, et celle des gouvernances métropolitaines n’aurait cessé de grandir (Lefèvre, Jouve, 2002 ; Le Galès, 2003 ; Garreton, 2013). Puisque la métropole est l’expression du pouvoir d’influence d’une ville sur son arrière-pays, qu’en son sein les territoires sont liés par leur destin 1 , un enjeu politique majeur réside désormais dans le gouvernement des métropoles ou – du moins – de véhiculer l’image d’être à la tête d’une métropole. À ce jeu-là, le flou qui entoure sa définition incite de nombreuses villes françaises à revendiquer un statut de métropole, indépendamment de leur taille, et avec en outre la perspective d’accéder à un statut de droit public pour les plus grandes d’entre elles (loi MAPTAM no 2014-58 du 27 janvier 2014). La métropole existe alors au travers des « récits collectifs » et des « images qui en imposent, qui la font exister comme telle » (Lussault, 2011). 

x

Quiconque a déjà travaillé sur la métropole le sait. Prononcer ce mot oblige d’emblée à réaliser un laborieux travail de définition qui ne mettra aucun spécialiste d’accord. Cette situation est vraie de nombreux concepts, mais de la métropole en particulier. La métropole fait partie de ces mots devenus incontournables dans le débat public et qui semblent avoir été inventés pour donner du travail supplémentaire aux chercheurs. Avec la métropole, il est presque plus intéressant de s’attacher à comprendre pourquoi le mot est si difficile à définir que d’essayer de le définir en soi. La notion de métropole est peu consensuelle à la fois dans son contenu, mais aussi dans son usage, alors qu’elle a pourtant une longue vie derrière elle. L’explication la plus probable vient du fait que la métropole entendue par les chercheurs (quand ils s’entendent) est rarement la métropole entendue par les politiques (quand ils s’entendent aussi). Un bon exemple est fourni par la loi Maptam (Loi de Modernisation de l’Action Publique et de l’Affirmation des Métropoles), entrée en vigueur en janvier 2014, et censée justement préciser à quelles conditions une ville et son agglomération peuvent prétendre au statut de métropole et parler d’une seule voix. Au 1er janvier 2017, la France en comptait quinze. Alors qu’elle aurait pu clarifier la situation, cette reconnaissance politique a plutôt eu l’effet inverse et a pu refaire se poser des questions sur le sens donné à la métropole, sur ses attributs ainsi que ses frontières. 

Concernant ses frontières, reconnaissons que les sept millions de métropolitains que compte le Grand Paris paraissent bien à l’étroit dans une métropole que la grande majorité des experts estime presque au double de population sur la base de critères plus fonctionnels : polarisation exercée sur l’emploi, déplacement domicile-travail, grands équipements, espaces fréquentées pour les commerces et les loisirs, etc. C’est un premier malentendu. Le second concerne les attributs de la métropole. A partir de quel niveau d’équipements, de taille de population, de concentration de fonctions économiques peut-on parler de « métropole » ? En France, la loi a fait de Brest, Nancy ou Rouen des métropoles de droit commun, mais fonctionnent-elles pour autant comme des métropoles au sens où l’entende la plupart des études sur le sujet désormais… De quel arrière-pays sont-elles les villes-mères, de quels réseaux constituent-elles des points importants ? Toutes ces questions sont celles que se posent plutôt les chercheurs que les politiques et elles contribuent à brouiller les pistes quand vient le moment d’exprimer clairement ce qu’on entend par métropole. 

Ce besoin, avant tout chose politique, de trouver des métropoles en France a pu s’amplifier dans la période récente, mais ce n’est pas une démarche nouvelle. Il y a déjà plus de cinquante ans, les planificateurs avaient désigné des métropoles d’équilibre, autrement dit des relais pour diffuser la croissance économique en dehors de Paris. Et c’est peut-être là la raison du malaise que les politiques publiques françaises en matière de développement ont avec le mot « métropole » : hormis Paris, elles font généralement le constat que le pays n’en dispose pas suffisamment pour se faire valoir sur la scène internationale. Car c’est désormais à cette échelle, et sur la foi de critères valorisant la dimension internationale des métropoles (point de vue largement défendu par les chercheurs), qu’on a tendance à les valoriser et les compter. Si les chercheurs et les politiques ne parlent pas d’une seule voix quand ils évoquent la métropole, c’est bien entendu qu’ils ne recherchent pas les mêmes objectifs. Mais il serait trop facile de faire porter la faute aux gouvernants. Ces derniers entendent et lisent aussi les chercheurs. Or, de l’avis d’une majorité de théoriciens, le modèle de développement métropolitain est le plus vertueux économiquement et celui qui a fait le mieux ses preuves dans la globalisation actuelle. Peut-on ensuite reprocher aux politiques de fantasmer des métropoles sur des territoires qui n’en sont pas vraiment ou bien qui n’en présentent qu’un embryon ? 

x

  • Métropole logistique, vue depuis l’aménagement
    Auteur : Laetitia Dablanc 

Le terme est proposé pour indiquer que le transport des marchandises et la logistique font partie des composantes de l’espace métropolitain et même qu’ils participent aux phénomènes de métropolisation et contribuent à expliquer certains éléments de la morphologie urbaine. 

Les activités logistiques ont connu ces deux dernières décennies un développement important en milieu métropolitain, repérable par de multiples indicateurs : hausse du trafic de camions et surtout de camionnettes, hausse très importante du nombre d’entrepôts, croissance des emplois des entreprises de transport et logistique. Ce développement est relativement plus élevé dans les très grandes villes que dans les autres milieux urbains, ce qui s’explique par les besoins de l’économie des grandes villes, à la fois insérées dans l’économie mondiale (hausse des échanges mondiaux de biens de consommation) et lieux de naissance de nouvelles façons de produire et de consommer (commerce en ligne, transport express) et d’innovations de logistique urbaine. En termes spatiaux, ces très grandes villes ont connu un triple phénomène lié aux activités logistiques. Celui d’une double polarisation tout d’abord : la croissance des activités logistiques a été relativement plus forte dans les méga-régions (on appelle méga-régions les grandes régions composées de pôles urbains qui ont de fortes relations, notamment économiques et de mobilité, entre elles. C’est un terme surtout utilisé aux États-Unis (la Regional Plan Association a ainsi dénombré 11 méga-régions américaines) mais qui permet de représenter une réalité urbaine européenne : sud-est de l’Angleterre, Île-de-France, nord-est italien, etc.) que dans les autres territoires (premier phénomène), et au sein de ces grandes régions urbaines multipolaires, elle a concerné d’abord les très grandes métropoles aux dépens (relatifs) des territoires urbains plus petits (deuxième phénomène). Un troisième phénomène peut être identifié au sein des métropoles elles-mêmes, celui de l’étalement logistique : les entrepôts et terminaux logistiques se sont installés de plus en plus loin dans l’espace périurbain (en se regroupant notamment autour des nœuds autoroutiers et là où les parcelles disponibles permettaient l’implantation de très grandes surfaces logistiques), nécessitant un accroissement de la mobilité des véhicules utilitaires pour atteindre les destinations urbaines des marchandises. Les manifestations économiques et spatiales du système de transport de marchandises sont restées largement invisibles aux yeux des acteurs métropolitains. La prééminence des décisions locales, qui se doublent souvent d’une relation compliquée avec le niveau préfectoral, qui décide pour les grands entrepôts des autorisations d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), est restée fondamentale en la matière, laissant les lois d’un marché foncier dynamique et le plus petit niveau institutionnel décider de l’opportunité et de la localisation des implantations logistiques. Dans le contexte de fragmentation institutionnelle métropolitaine, les acteurs de l’immobilier ont acquis un pouvoir non négligeable en matière d’allocation des espaces pour les activités logistiques, créant un nouveau paysage périurbain d’entreposage. Cette géographie logistique métropolitaine est parfois en décalage avec ce que la pure logique de minimisation des coûts de transport (un entrepôt situé au barycentre des commerces à approvisionner par exemple, ou une agence de messagerie localisée en un lieu minimisant la distance totale des tournées de distribution et de collecte) aurait dû dicter. On peut parler d’une certaine déconnexion entre le système de production du transport et des services logistiques et celui de la production des espaces logistiques métropolitains. 

x

Références:

Derudder B., Taylor P. J., Witlox F., CAtalano G. (2003), « Hierarchical tendencies and regional patterns in the world city network : a global urban analysis of 234 cities », Regional Studies, 37(9), p. 875-886. 

Friedmann J. (1986), « The World city hypothesis », Development and change, 17, p. 69-83. 

Garreton M. (2013), Inégalités de mobilité dans le Grand Santiago et la région Ile-de-France : politiques de logement, des transports et gouvernance métropolitaine, Thèse, Université Paris-Est. 

Hall P. G., Raumplaner S. (1998), Cities in civilization, New York : Pantheon Books. 

Hymer S. (1972), « The internationalization of capital », Journal of economic issues, 6(1), p. 91-111. 

Julien P. (1994), « Les fonctions stratégiques dans cinquante villes de France », Insee Première, no 300, février. 

Kratke S. (2001), « Berlin : towards a global city ? », Urban Studies, 38(10), p. 1777-1799. 

Le Galès P. (2003), Le retour des villes européennes. Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris : Presses de Sciences Po. 

Lefèvre C., Jouve B. (dir.) (2002), Métropoles ingouvernables : les villes européennes entre globalisation et décentralisation, Paris : Elsevier. 

Sassen S. (2001), The global city : New york, London, Tokyo, Princeton : Princeton University Press. 

Veltz P. (1996), L’économie d’archipel, La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube. 

Veltz P. (2012), Paris, France, Monde : Repenser l’économie par le territoire, La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube