Mots clés : infrastructure, automobilité, système socio-technique, territoire, aménagement, transitions
Définition « technique » introductive
Le réseau autoroutier est déployé en France à partir des années 1950 selon des logiques de desserte de l’ensemble du territoire et d’accessibilité à la grande vitesse. L’infrastructure autoroutière constitue d’un point de vue technique, une route sans croisement et sans accès riverain avec des entrées et sorties dédiées, accueillant exclusivement des véhicules motorisés de vitesses importantes1 sur des chaussées séparées. L’acception rassemble les voies de statut « A » (loi de 1955) mais aussi des voies de statut national ou départemental « à caractéristiques autoroutières » (CEREMA)2.
Définition « relationnelle » : infrastructure et territoire
Comme toute infrastructure, l’autoroute est fondamentalement relationnelle, elle acquiert sa réalité par rapport à des pratiques organisées (Leigh Star & Ruhleder, 2010), des savoirs, des discours, des imaginaires enchevêtrés (Tribillon, 2022). L’autoroute est une infrastructure conçue, vécue, perçue (Lefebvre, 1967) par ses planificateurs, gestionnaires – exploitants, usagers, riverains, habitants, acteurs et concepteurs de l’aménagement du territoire et des politiques publiques. Autoroute et territoire constituent en cela un système socio-technique (Millerand, 2015).
Ce système socio-technique est intrinsèquement lié, dans sa conception, ses évolutions, ses imaginaires, au véhicule automobile (Aguilera-Belanger et al., 2021), lui-même est actant du régime de l’automobilité (Urry, 2004) (Akrich, 2010). Le déploiement autoroutier est associé à la liberté et la vitesse de déplacement offerte par le véhicule automobile. L’imaginaire du système des mobilités tend par ailleurs plus à s’attacher au mobile supporté par l’infrastructure qu’à l’infrastructure elle-même découlant notamment du caractère magique donné à certains objets techniques comme l’automobile (Passalacqua, 2020). L’imaginaire infrastructurel repose sur des promesses de prospérité économique, d’accessibilité illimitée constituant un « enchantement » infrastructurel (Harvey & Knox, 2012). Attentes sociétales, valeurs morales sont cristallisées dans l’imaginaire des infrastructures (Pelgrims, 2020) et alimentent la promesse de la constitution de futurs meilleurs rendus possibles par ces dernières (Jarrige, 2024). L’aménagement des territoires à proximité des infrastructures autoroutières à l’instar de développement d’espaces commerciaux aux abords des échangeurs ou de phénomènes d’extension urbaine est lui aussi guidé par ces imaginaires et alimenté par le mythe des effets structurants du réseau autoroutier (Offner, 1993).
Evolutions
La phase actuelle de l’infrastructure autoroutière tend principalement à la maintenance et l’exploitation (Denis & Pontille, 2022) mais aussi à la régénération, l’adaptation et parfois la disparition. Les diverses transformations autoroutières résultent de processus de co-évolution avec le territoire (Roseau, 2016). Dans les métropoles et espaces très urbanisés, les infrastructures autoroutières sont parfois remplacées par d’autres infrastructures de déplacement comme des boulevards urbains (Lecroart, 2012). L’extension ou la densification de l’urbanisation amènent certaines adaptations, comme l’ajout de murs anti-bruit ou de passerelles de traversée. Des stratégies de déplacements décarbonés engagent des modifications usuelles et morphologiques de l’infrastructure (introduction d’autres modes de transport et voies dédiées pour les transports en commun ou le covoiturage) ou des modifications de l’aménagement du territoire en entrée/sortie d’infrastructure (développement de pôles d’échange, de parkings relais ou aires de mobilité).
Dans des perspectives de politiques publiques de « transition » énergétique, des projets considèrent l’infrastructure autoroutière comme support technique de production énergétique. L’emprise de la chaussée représente, en tant que foncier artificialisé, une ressource mobilisable pour des projets de couverture solaire (comme à Bordeaux, à Marseille ou en Catalogne). Des projets d’énergie solaire sont aussi imaginés sur les « délaissés » (dépendance routière végétalisée ou non, foncier aux abords)3. Ces délaissés ou lisières4 constituent par ailleurs des ressources mobilisables face à la perte de biodiversité en tant que potentiels réservoirs et corridors, et constituent aussi des puits carbones (Bonin, 2024 ; Labarraque, 2016).
D’autres projets témoignent d’une phase de déploiement du réseau autoroutier encore actuelle, à l’instar du projet controversé et médiatisé de l’A69 entre Toulouse et Castres. Ce projet est justifié autour de la permanence d’un enchantement autoroutier porteur d’un désenclavement et d’un développement économique. Ses contestations sont construites autour d’un désenchantement infrastructurel et d’une confrontation du système autoroutier à des coûts environnementaux et sociétaux de moins en moins acceptables (Munch,2024).
La cristallisation de juxtapositions / frictions de politiques publiques de « transition » (production d’énergies renouvelables et préservation de la biodiversité) ou de dissonances d’attentes et d’imaginaires de groupes d’acteurs (enchantement/désenchantement) sur l’infrastructure autoroutière réinterrogent sa définition, ses dimensions techniques, relationnelles, le rôle et la place attribués dans l’aménagement du territoire (Espinasse, 2022) et plus largement dans la société.
Références:
– Aguilera-Belanger, A.,Belton-Chevallier, L., Thébert, M.,2021, Les territoires et la voiture. RTS. Recherche, transports, sécurité, 1-4.
– Akrich, M., 2010, Comment décrire les objets techniques ? Techniques & Culture. Revue semestrielle d’anthropologie des techniques, 54‑55.
– Bonin S., 2024. Infrastructures de transport créatives : mieux les intégrer aux écosystèmes, paysages et territoires, Versailles : Éditions Quæ, 252 p.
– Denis, J., & Pontille, D., 2022, Le soin des choses. La Découverte, 376 p.
– Espinasse, M., » De paysages autoroutiers à l’émergence de territoires de projet : Observer, représenter, évaluer les territoires de la route pour conduire les transitions des entrées métropolitaines bordelaises », Thèse de doctorat en aménagement du territoire et architecture en préparation sous la direction de Nacima Baron et Eric Alonzo, Paris-Est, Université Gustave Eiffel, 2022-.
– Harvey, P., & Knox, H.,2012, The Enchantments of Infrastructure. Mobilities, 7(4), 521‑536.
– Labarraque, D., 2016, Évaluer les services rendus par les dépendances vertes des infrastructures linéaires de transport : Une démarche exploratoire. VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 24.
– Lecroart, P., 2012, De la voie rapide à l’avenue urbaine : La possibilité d’une « autre » ville ? 606.
– Leigh Star, S., & Ruhleder, K.,2010, Vers une écologie de l’infrastructure. Conception et accès aux grands espaces d’information. Revue d’anthropologie des connaissances, Vol 4, 1(1), 114‑161.
– Metabolism of Cities (Réalisateur). (2024, janvier 31). 5G, IA, A69 : Le Piège du Techno-Solutionnisme (François Jarrige). https://www.youtube.com/watch?v=rZ3beT0LpaU
– Millerand, F., 2015, Infrastructure sociotechnique. In F. Bouchard, P. Doray, & J. Prud’homme (Éds.), Sciences, technologies et sociétés de A à Z (p. 126‑129). Presses de l’Université de Montréal.
– Munch, E.,2024, On ne peut plus valoriser les transports en s’appuyant sur des théories héritées des “trente glorieuses” ».Le Monde, tribune du 8 février 2024
– Offner, J.-M., 1993, Les « effets structurants » du transport : Mythe politique, mystification scientifique. L’Espace géographique, 22(3), 233‑242.
– Passalacqua, A.,2020, Ce que porte le transport (XIXe-XXIe siècles). e-Phaïstos. Revue d’histoire des techniques / Journal of the history of technology, VIII‑1, Article VIII‑1.
– Pelgrims, C., 2020, Entre vitesse et lenteur : Imaginaires en tension dans l’évolution des infrastructures de mobilité.
– Roseau, N., 2016, Pouvoirs des infrastructures. Histoire urbaine, 45(1), 5‑16.
– Tribillon, J., 2022, Ways of seeing : Landscape-infrastructure as critical design framework to analyse the production of Paris’s Boulevard Périphérique. Landscape Research, 0(0), 1‑16.
– Urry, J., 2004, The ‘System’ of Automobility. Theory, Culture & Society, 21, 25‑39.