Nouveau venu dans cette édition augmentée des mots du LVMT, aéroport pourrait facilement donner l’impression d’être cet intrus qu’on a glissé dans la liste. Les questions aéroportuaires, et plus largement le transport aérien, sont longtemps restées en dehors des radars des recherches conduites au LVMT. Si l’intérêt pour les nœuds de transport était bien présent, c’était principalement par l’intermédiaire de l’objet « gare ». L’aéroport, comme objet d’étude, va progressivement trouver sa place dans diverses actions de recherche qui vont révéler tout son potentiel.
Plusieurs réalités d’aéroports
Le mot « aéroport » n’appartient pas au jargon universitaire et ne demande a priori pas de longue définition. Cela étant, parler d’aéroport pour désigner à la fois l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, celui de Poitiers, celui d’Aurillac ou bien encore celui du Golfe de Saint-Tropez peut facilement introduire de la confusion. Si les quatre disposent bien d’une piste et d’une tour de contrôle pour faire décoller et atterrir des avions, la comparaison s’arrête là. Car derrière le mot « aéroport » se cache une grande diversité d’équipements et d’usages difficile à imaginer sans un examen approfondi du maillage aéroportuaire (CSAC, 2017).
Dans les discours politiques comme dans l’imaginaire collectif, l’aéroport est cette infrastructure en charge de nous connecter au reste de la planète. Dans la réalité, ce type d’aéroport existe – il porte le nom de hub – mais c’est une « espèce » très rare. En France, seul Paris-Charles de Gaulle peut prétendre à ce statut-là et on n’en compte pas plus d’une poignée en Europe. Ces plateformes, fréquentées par plusieurs dizaines de millions de voyageurs, sont les seules à pouvoir proposer des vols vers des destinations aux quatre coins du globe.
Dans le paysage aéroportuaire, le hub est l’arbre qui cache derrière lui une forêt d’aéroports qui ne lui ressemble pas du tout, et au premier rang desquels on retrouve les aérodromes. Largement majoritaire, ce type d’infrastructure se distingue par sa taille modeste. Sans ligne régulière commerciale, l’aérodrome accueille principalement de l’aviation générale (des avions de tourisme, des aéro-clubs, de la formation de pilote) et d’affaires (comme celui du Golfe de Saint-Tropez). Autrement dit le voyageur n’atteindra jamais New York au départ de ce groupe d’aéroports, à moins bien sûr d’être très riche.
Après les aérodromes, les aéroports secondaires sont la catégorie la plus importante en nombre. Elle est intéressante à analyser car elle se compose d’aéroports avec une grande variété de vocations et de trajectoires d’évolution (Chevalier, 2022). Certains assurent encore des missions de désenclavement dans des territoires (comme celui d’Aurillac) où les alternatives en transport rapide sont inexistantes. Ils sont cependant de moins en moins nombreux, au contraire des aéroports spécialisés dans l’accueil de touristes d’Europe du nord et des aéroports développant des destinations « soleil » et/ou « affinitaires » pour les populations locales. Désormais, on se rend de moins en moins à l’aéroport pour des motifs professionnels et de plus en plus pour des motifs de loisir et personnels. Toutes ces transformations ont eu pour conséquence de déconnecter de nombreux aéroports secondaires de la capitale et encore plus du hub national. La recherche de connectivité passe ainsi par d’autres stratégies, mais une chose semble acquise : l’argument très souvent entendu de l’aéroport comme « porte ouverte sur le monde » est une réalité en trompe l’œil car elle ne concerne désormais qu’un tout petit nombre d’entre eux.
A propos de l’impact des aéroports sur l’activité économique.
En plus de leur rôle de connecteur, les aéroports sont régulièrement présentés comme des leviers pour les économies locale et régionale par les acteurs territoriaux. Le sujet mérite de s’y attarder tant il est source de débats sur les méthodes de mesure et le sens de la relation. Il repose l’éternelle question de savoir ce qu’une infrastructure de transport peut aider à produire sur un territoire.
Avec l’accroissement spectaculaire des échanges aériens depuis une vingtaine d’années – jusqu’à son arrêt brutal avec la crise sanitaire – l’aéroport ne présente plus tout à fait le même visage qu’à une certaine époque où on pouvait encore le qualifier de non-lieu (Augé, 1992). Si pour les voyageurs, l’aéroport demeure un espace de circulation avec un faible degré de socialité, l’aérogare, la tour de contrôle, la piste et le domaine aéroportuaire dans son ensemble constituent en parallèle des lieux d’emplois, que certains n’hésitent plus à appeler « Airport city » (Appold et Kasarda, 2013). Mais encore une fois, cette configuration ne concerne qu’un tout petit nombre de plateformes, principalement les hubs, où le surcroît d’activités (et la disponibilité foncière) génèrent une vie économique intense en marge de grandes métropoles (Lasserre-Bigorry et Terral, 2022).
Pour ce qui est des aéroports secondaires, ils sont adossés dans la majorité des cas à des villes de taille intermédiaire. La contribution de ces plateformes au développement local ne se mesure plus en emplois (trop peu nombreux) mais à leur impact sur les flux touristiques ou bien aux services qu’elles rendent aux entreprises locales pour le déplacement de leurs employés ou de leurs clients. Si dans certains cas, ce genre d’arguments se défend, dans d’autres, se pose la question de savoir si ce n’est pas plutôt l’effet inverse qui se produit : dans une période où la gestion aéroportuaire est scrutée de très près, les flux touristiques et les déplacements aériens professionnels sont plus essentiels à la survie de l’aéroport qu’à celle de l’économie locale.
Références:
– Appold S.J., Kasarda J.D., 2013, The airport city phenomenon : evidence from large US Aiports. Urban Studies, 50 (6), pp. 1239-1259.
– Augé, M., 1992, Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la Modernité. Paris : Le Seuil.
– Chevalier J., 2022, Les aéroports secondaires en France métropolitaine. Une approche territorialisée des trajectoires entre 1990 et 2016. Thèse de doctorat en aménagement, Champs-sur-Marne, École des Ponts ParisTech, 344 pages.
– CSAC, 2017, Rapport sur le maillage aéroportuaire français. Rapport pour le compte du Conseil Supérieur de l’Aviation Civile, 82 pages.
– Lasserre-Bigorry V., Terral L., 2022, Étude de l’impact économique de l’écosystème aéroportuaire et aérien sur l’activité et l’emploi. Rapport final pour le compte de Paris CDG Alliance,