Résumé de la thèse
La thèse porte sur le potentiel de redéveloppement du mode ferroviaire pour le transport interurbain de passagers aux Etats-Unis. Il s’agit à la fois d’établir un état des lieux précis selon les branches d’activités d’Amtrak, et suivant une approche multiscalaire – services, aires métropolitaines, Etats – et d’analyser les caractéristiques de fonctionnement, d’organisation et de gestion du réseau ferroviaire étatsunien. Depuis sa création, Amtrak connaît de lourdes difficultés, et est en situation de déficit chronique. Malgré des handicaps structurels qui grèvent la santé financière de la compagnie, et un manque d’engagement politique et financier qui entrave sa capacité d’investissement, Amtrak enregistre depuis près de deux décennies des chiffres de fréquentation et des revenus en augmentation, passant de 20,9 millions de passagers en 2000 à 30,8 millions en 2015. Ce mode de transport connaît une forme de renouveau bien que sa part modale dans le transport interurbain de passagers, 0,2%, reste très modeste.
Parallèlement aux services existants, ce renouveau ferroviaire passe par l’implantation de la grande vitesse aux Etats-Unis. Actuellement, il n’existe aucune ligne à grande vitesse, selon les normes de l’UIC (Union internationale des chemins de fer), mais une seule ligne à vitesse plus élevée avec l’Acela Express dans le corridor Nord-Est. Plusieurs échecs retentissants se sont succédé dans les années 1980 et 1990 au Texas, en Floride, ou dans l’Ohio (Perl, 2002). L’initiative en faveur de la grande vitesse de l’administration Obama en 2009-2010 donne un nouvel élan avec des financements consacrés à ce nouveau mode de transport et un engagement réel, bien que non uniforme, des Etats aux côtés du gouvernement fédéral. Se pose la question, à la fin du second mandat du président Obama, de l’efficacité de cette initiative et de la réalité de la grande vitesse aux Etats-Unis. En 2016, seul le projet californien est en cours de construction. D’autres Etats sont engagés dans la modernisation du réseau existant et l’amélioration des services d’Amtrak, alors que se développent parallèlement des projets privés. La majorité des projets ne relèvent pas de la grande vitesse stricto sensu. En effet, le modèle de la grande vitesse – plus de 250 km/h et requérant une infrastructure propre – tel qu’il s’est imposé en Europe ou en Asie, ne semble pas adapté au contexte étatsunien. Après avoir rappelé les principales étapes législatives relatives à l’implantation de la grande vitesse et établi un bilan de l’initiative de l’administration Obama, l’objectif est d’analyser les principaux projets – qui sont à différents stades de préparation et de développement – aux Etats-Unis y compris les projets privés.
Cette thèse consacrera une large part aux conflictualités politiques et institutionnelles – à plusieurs échelons administratifs dont l’Etat fédéral, les Etats fédérés et les autorités métropolitaines et locales – liées à Amtrak et au transport ferroviaire. Il s’agit d’analyser la politique ferroviaire fédérale – à travers les différentes lois relatives aux transports et les réformes d’Amtrak – et de la mettre en regard par rapport au soutien fédéral aux autres modes de transports. Notre objectif est également d’étudier comment le gouvernement fédéral tente de mettre en place une stratégie nationale pour le développement du transport ferroviaire de passagers (National Rail Plan). Le rôle grandissant des Etats fédérés, depuis les lois PRIIA et FAST, dans la politique ferroviaire et le soutien à Amtrak occupe une large place dans ce volet institutionnel et politique de la thèse : responsabilités des Etats, financements, transfert de certains services d’Amtrak (state-supported routes), mise en place de stratégies ferroviaires globales (State Rail Plans). En outre, même si les autorités régionales et métropolitaines existantes (MPO) n’ont pas de compétences sur le transport ferroviaire interurbain, il apparaît intéressant d’explorer comment cet échelon institutionnel s’approprie ou non les défis liés au transport ferroviaire de passagers. Le cas de la Californie apparaît comme un laboratoire vers une décentralisation de la gestion des services d’Amtrak, puisque l’Etat a confié à des structures institutionnelles régionales/métropolitaines, la gestion de ses trois state-supported corridors. Cette partie de la thèse a l’ambition de traiter des jeux d’acteurs institutionnels relatifs au transport ferroviaire de passagers – Amtrak et projets de grande vitesse. Toutefois, l’analyse repose également sur un travail sur les acteurs non-institutionnels (lobbies, acteurs économiques) ainsi que sur les nouveaux moyens de communication destinés à promouvoir ce mode de transport (notamment internet et les réseaux sociaux).
Les deux premières étapes de ce travail de thèse nous amènent à considérer les points de blocage – politiques, institutionnels, financiers – qui empêchent le développement d’Amtrak et d’une politique ferroviaire ambitieuse. Et cela conduit à nous intéresser au modèle économique d’Amtrak, ainsi qu’à celui de la grande vitesse aux Etats-Unis. En effet, au regard de la concurrence du transport aérien (pour les trajets de longue distance, et de plus en plus pour ceux de moyenne et courte distance), et de celle de l’autocar, on peut s’interroger sur la pertinence de tels projets dans ce contexte géographique. La grande vitesse ferroviaire aux Etats-Unis ne se révèle-t-elle pas pertinente que dans un nombre très restreint de corridors ? De nombreuses propositions – émanant de tous types d’acteurs – visent à restructurer, renforcer ou diminuer l’offre d’Amtrak. Plusieurs solutions sont envisagées : le maintien du réseau national avec des fonds adéquats, la restructuration voire la suppression des services à longue distance, le lancement d’un vaste programme fédéral d’investissements pour moderniser le réseau existant et construire des lignes à grande vitesse, une dévolution plus importante aux Etats et aux acteurs locaux etc. Cette troisième étape de la thèse reposera donc sur quatre éléments : l’analyse du modèle économique d’Amtrak (à partir de l’exemple de plusieurs lignes), l’analyse du modèle économique supposé de la grande vitesse (à partir des exemples du NEC et du projet californien), une réflexion sur la pertinence de la grande vitesse ferroviaire aux Etats-Unis (concurrence rail, air, route), et enfin le rôle du tourisme dans les projets ferroviaires aujourd’hui en développement (exemple de l’All Aboard Florida).
Enfin, la dernière étape de ce travail de thèse va porter sur la territorialisation des politiques ferroviaires qui passera par plusieurs études de cas permettant de comprendre le rôle des acteurs locaux institutionnels et non-institutionnels, et les stratégies d’intégration avec les réseaux urbains dans une perspective de promotion de l’écomobilité et d’alternative à la congestion routière et aéroportuaire. Trois études de cas sont envisagées : corridor des Cascades (Seattle-Portland), corridor nord-californien (San Francisco-San Jose), nouveau projet ferroviaire privé de l’All Aboard Florida (Miami-Orlando). Ce choix repose sur une double volonté : décentrer le regard par rapport au nord-est des Etats-Unis (ce corridor étant systématiquement pris en exemple lorsque l’on aborde les enjeux ferroviaires aux Etats-Unis, le NEC occupe une place importante tout au long de la thèse mais ne figure pas dans les études de cas), et apporter un éclairage scientifique complémentaire sur la Californie (après la thèse de Charlotte Ruggeri soutenue en 2015 sur le projet californien avec une focalisation sur l’aire métropolitaine de Los Angeles). Ces études de cas nous offriront un point d’entrée dans l’analyse du couple réseaux-territoires, et dans la réflexion sur les gares et les quartiers de gare. Sur l’ensemble du territoire américain, on constate une multiplication de projets impliquant une rénovation des gares centrales et la construction de véritables pôles multimodaux, ainsi que des projets plaçant la gare au cœur de programmes de développement urbain plus vastes. Il conviendra d’en établir un état des lieux aussi exhaustif que possible, et de travailler plus en profondeur à partir des études de cas. Une nouvelle gare centrale est en cours de construction à San Francisco, en prévision de l’arrivée de la ligne à grande vitesse. Le projet All Aboard Florida, qui se compose de quatre arrêts, prévoit la construction de quatre nouvelles gares dont la spectaculaire gare de Miami Central. Concernant les quartiers de gare, il s’agira de voir si une place nouvelle est faite au TOD (transit-oriented development) avec in fine une évolution supposée de la fabrique de la ville portée par les acteurs locaux, ou si ces projets de nouveaux quartiers de gare relèvent davantage de l’opportunité immobilière et foncière privée. Dans le cas du projet floridien, la compagnie privée prévoit un retour sur investissement par la construction et la location d’immeubles de grande hauteur et d’espaces commerciaux notamment à Miami.
Problématique
La thèse s’intéresse au renouvellement en cours des politiques concernant le transport ferroviaire de passagers en se fondant sur deux questions principales. Comment ce mode de transport est-il envisagé par les différents acteurs au regard des enjeux politiques, économiques et territoriaux qui marquent les questions de transports aux Etats-Unis ? La difficile implantation de la grande vitesse ferroviaire aux Etats-Unis contribue-t-elle à faire émerger un modèle ferroviaire inédit par rapport à la situation euro-asiatique ?
Apports théoriques envisagés
- Apports aux réflexions sur l’avenir de la grande vitesse ferroviaire (remise en question récente de l’équilibre socio-économique du modèle classique de la grande vitesse)
- Apports dans le champ politique (rôle du gouvernement fédéral et des Etats fédérés ; rapport entre public et privé ; conflits d’usage potentiels entre les acteurs du réseau ferroviaire : nouvelles échelles de gouvernance ; régionalisation)
- Apports dans le champ de la géographie urbaine (développement métropolitain ; densification urbaine)
- Apports dans le champ de l’aménagement (application des principes du TOD ; liens entre transports interurbains-transports urbains-fabrique de la ville ; gares et quartiers de gare)
Hypothèses de recherche
- Le dynamisme ferroviaire aux Etats-Unis reposant sur un nombre restreint de corridors mégalopolitains, l’intégration des réseaux et la mise en œuvre d’une politique multimodale s’avèrent particulièrement nécessaires.
- Le foisonnement de projets, de réflexions et de débats autour du mode ferroviaire appuie l’idée que le train a retrouvé une place certaine dans le débat politique, mais une culture technique et administrative sur le mode ferroviaire encore naissante rend difficile la prise en compte des enjeux économiques et territoriaux de la grande vitesse ferroviaire.
- Le quasi-échec de l’initiative « grande vitesse ferroviaire » de l’administration Obama, malgré la distribution de fonds inédits en faveur de ce mode de transport.
- L’émergence d’un nouveau modèle de réseau à grande vitesse, le réseau à vitesse plus élevée.
- Le transport ferroviaire de passagers s’inscrivant dans un contexte institutionnel et territorial multiscalaire complexe, le transport ferroviaire de passagers doit être envisagé dans sa dimension politique, et non seulement dans sa dimension matérielle, puisque les acteurs politiques se réapproprient le mode ferroviaire.
- Le renouvellement des politiques ferroviaires étatsuniennes passe par une dévolution plus importante des compétences en matière de transports, afin de contourner les blocages politiques au niveau fédéral.
- L’implantation de la grande vitesse aux Etats-Unis fait émerger un nouveau modèle de développement de ce mode qui se détourne du seul paradigme de la vitesse, en faveur de la vitesse plus élevée, puisque la grande vitesse ferroviaire ne se révèle pertinente que dans deux territoires aujourd’hui (Nord-Est et Californie).
- La gare, et le quartier de gare, symbolisant la dimension matérielle et territoriale du transport ferroviaire, font l’objet d’un triple processus de réappropriation politique de l’objet « gare », de renouvellement du statut de la gare comme élément de la centralité métropolitaine, et d’intégration de la gare comme élément de projets de renouvellement urbain.
Biographie, parcours
Qualification aux fonctions de Maître de Conférences – sections 23 et 24
Depuis Janvier 2021 : Post-doctorant, Chaire Logistics City (Université Gustave Eiffel/SOGARIS/PosteImmo), rattaché principalement au laboratoire SPLOTT / Chercheur associé au LVMT
Novembre 2019-Décembre 2020 : Post-doctorant, Chaire Aménager le Grand Paris (Ecole d’Urbanisme de Paris), Université Gustave Eiffel
Sujet du post-doc : « Anticiper et préparer l’arrivée du réseau. Une analyse des dispositifs de coordination aménagement-transport autour des gares du Grand Paris »
Août 2019 – Octobre 2019 : Ingénieur de recherche, Chaire NAEM, LVMT
Septembre 2018 – Août 2019 : ATER de géographie, Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Octobre 2017 – Août 2018 : ATER de géographie, Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Octobre 2014 – Octobre 2017 : Allocataire-Moniteur en géographie (contrat doctoral UPE)
Docteur en Géographie et Aménagement au Laboratoire Ville Mobilité Transport (UMR-T 9403, Université Paris-Est), Ecole doctorale Ville Transport Territoire (ED 528)
Thèse de doctorat (2014-2019) sous la direction de Pierre Zembri (Université Paris-Est) : « Le transport ferroviaire de passagers aux Etats-Unis entre conflictualités institutionnelles, processus de territorialisation et ancrage métropolitain » – Thèse soutenue le 2 juillet 2019
FORMATION UNIVERSITAIRE
2008-2010 Licence d’histoire, mention Bien, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
2010-2012 Master Recherche d’histoire, Mondes étrangers et Relations internationales, spécialité Etats-Unis, mention Très Bien, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Mémoire sous la direction d’Annick Foucrier (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CRHNA) : « Travaux publics, pratiques politiques et transformation de l’espace urbain, Baltimore de 1872 à 1904 » (mention Très Bien)
2012-2014 Master Recherche de géographie, Géoprisme-Science des Territoires, mention Bien, Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Mémoire sous la direction d’Anne Bretagnolle (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et d’Hélène Harter (Rennes 2) : « Le projet de ligne à grande vitesse dans la région des Cascades : approche incrémentale, gouvernance, appropriation politique et culturelle » (mention Bien)