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Du nouveau dans les transports et la mobilité
- Introduction
- Innovation
- Autopartage, covoiturage, les modes partagés
- Synchronisation spatio-temporelle des activités
Zoom sur les innovations technologiques et de service.
Selon l’ampleur relative des changements dont elles procèdent dans les concepts et/ou composants et dans les liens entre ces concepts et/ou composants, les inno-vations technologiques et les innovations de service peuvent être caractérisées d’incrémentales ou de radicales.
Parmi les innovations market-pull, on qualifie d’innovations disruptives (ini-tialement théorisées Clayton Christensen ) celles qui créent de nouveaux marchés
d’alternatives à la fin annoncée des sociétés industrielles, et surtout, elle pointe le caractère insuffisant d’un développement économique basé principalement sur
Autopartage, covoiturage, les modes partagés
Auteur : Virginie Boutueil
1. une collaboration verticale entre acteurs à différents niveaux de la chaîne de valeur (par exemple : régulateurs, fabricants de produits, fournisseurs de services ou usagers finaux) pour organiser la redistribution entre ces acteurs des activités de production, ainsi que des ressources, informations, risques, coûts et gains associés

Sommaire:
- Rythmes urbains – vus depuis la sociologie par Emmanuel Munch
- Opérateur de réseau – vu depuis la géographie par Pierre Zembri
- Tiers lieux de travail par Anne Aguiléra et Julie Perrin
- Télétravail, vu depuis l’économie par Anne Aguiléra
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- Rythmes urbains – vus depuis la sociologie
Auteur : Emmanuel Munch
Le rythme est une manière d’apprivoiser le temps. Il se définit à partir de la répétition d’un mouvement à intervalle régulier. C’est ainsi que le flot des vagues, les pulsations du cœur ou le battement des aiguilles d’une montre “donnent le rythme” – ou plutôt différents rythmes. Rythmes marin, biologique ou chronométrique, il y autant de types de rythme qu’il y a de types de mouvement et d’activité régulière dans l’espace.
De la même façon, nous définissons les rythmes urbains à partir de la répétition du mouvement régulier de ses citadins dans l’espace public. Mais cette définition fait immédiatement face à certaines limites. D’une part les rythmes urbains sont différents d’une ville à l’autre (Kung & alli, 2014) et d’autre part les déplacements réguliers au sein d’une même ville varient vraisemblablement d’un citadin à l’autre (Keolis, 2016). Cela fragilise grandement l’existence de rythmes urbains. Pour parler de rythmes urbains, il nous faut alors faire l’hypothèse de citadins affluant et refluant à l’unisson selon différentes échelles de temps (heure, jour, semaine, mois, année), un peu à l’image de “marées humaines”. Cette hypothèse ne peut cependant se vérifier que si les activités motivant les déplacements des citadins sont synchronisées, c’est à dire qu’elles sont réalisées à peu près au même moment pour tout le monde et de façon régulière.
Or en Occident, depuis la Révolution Industrielle, c’est l’activité de travail qui est généralement considérée comme le principal “synchronisateur” de la vie en ville. Selon cette grille, les horaires d’écoles, de bureau, de commerce, d’administration forment une métrique relativement homogène qui rythme les pulsations de la vie urbaine. Les périodes de travail et de non travail révèlent schématiquement et collectivement les mouvements réguliers et visibles de ses citadins, dans les rues, autoroutes, ou couloirs de métro.
Mais depuis le début des années 2000, certains experts (Bailly & Heurgon, 2001 ; Josselin & Castex, 2007) de la mobilité annoncent que ce lien s’est distendu. D’une part, le temps de travail occupe une durée de plus en plus faible au cours de nos vies et d’autre part, nos manières d’occuper notre temps se diversifient (Ascher, 1997 ; Godard, 2003) et se complexifient (Lipovetsky, 2006 ; Bauman, 2006). L’atomisation et la flexibilisation de nos agendas conduiraient donc à la disparition progressive de rythmes urbains axés autour des périodes de travail. Exit le métro-boulot-dodo et les périodes de pointe ?
A titre d’exemple, en Île-de-France des pratiques de déplacements moins homogènes semblent faire leur apparition durant des périodes autrefois considérés comme vides (le début d’après-midi, la nuit, le dimanche) – ces analyses sont réalisées à partir de la comparaison des Enquêtes Globales de Transport 1976, 1983, 1991, 2001 et 2010 et ne concernent que les périodes de fréquentation des transports en commun en Île-de-France. Toutefois, les pics de saturation pour se rendre au travail conservent bien leur intensité Ces dynamiques antagonistes brouillent la lecture classique du rythme des déplacements et compliquent la conception des plans de transport en commun (fréquence des dessertes, capacité du matériel roulant). D’un côté, cela pousse les autorités publiques à concevoir des politiques de gestion de la demande durant les périodes de pointe et de l’autre côté, des politiques d’amélioration de l’offre durant les périodes habituellement moins fréquentées. Ces nouveaux défis opérationnels suggèrent indéniablement d’accorder une attention plus forte à la mesure des rythmes urbains et à la temporalité des déplacements. Mais nos outils actuels nous permettent-ils réellement de mesurer la temporalité des déplacements ?Les outils courants de la socio-économie des transports, i.e. les Enquêtes Ménage-Déplacements (EMD) et la modélisation classique à quatre étapes, nous donnent un « arrêt sur image » des déplacements effectués. Mais en aucun cas ils ne permettent de mesurer des rythmes de déplacement puisqu’ils n’intègrent que partiellement la question de l’activité (le motif du déplacement), de son horaire et surtout de sa récurrence. Les routines de déplacement et les rythmes collectifs sont plus souvent pressentis et supposés que réellement mesurés. De nouvelles méthodes de recueil des données (traces GPS, Wi-Fi, télébillétique) et/ou d’outils de modélisation (approche activité-centrée) permettent de mesurer plus finement la temporalité des déplacements et d’en dégager des rythmes. Dans la lignée de la Time-Geography, les approches activités-centrées se concentrent sur les modes de vie et la temporalité des déplacements (Mc Nally, 2000). Cependant, le degré de complexité des résultats autorise rarement une interprétation opérationnelle pour les politiques de transport. Ce constat appelle des objectifs renouvelés pour la socio-économie des transports.
Au-delà des difficultés inhérentes à la mesure des rythmes, il devient impératif d’améliorer la manière dont nous retranscrivons ces rythmes afin que leur lecture puisse servir les politiques de transport. Nous ne pouvons rendre compte d’un rythme de la même manière que l’on rend compte d’un trajet. Le dernier se dessine et se conceptualise tandis que le premier s’expérimente et se vit. La dimension temporelle est certainement plus sonore que l’espace-tracé du géographe. Dans sa « rythmanalyse », Henri Lefebvre (1996) évoque un « bruit de fond » lorsqu’il se réfère à « la somme des insignifiances » produit par les rythmes collectifs et routiniers. Mais une fois les enjeux et les limites précisés, c’est tout un champ de recherche qui reste à défricher.
Pour certains, la retranscription des rythmes collectifs passera par la création de concepts et d’une discipline entièrement focalisée sur l’étude des temps (Grossin, 1996). Pour d’autres (Oukhellou et al., 2017), la solution pourrait venir d’un rapprochement entre sciences « numériques » (ingénierie, mathématique, informatique) et sciences humaines. En effet, les premiers traitent habituellement des nouvelles données incluant la temporalité des déplacements. Mais ils ne sont pas toujours sensibilisés aux questions soulevées par l’analyse des rythmes. De l’autre côté, les seconds s’intéressent couramment à la question des temporalités (routines, emploi du temps) mais sans intégrer aujourd’hui ces nouvelles sources de données.
Les orientations sont certes encore tâtonnantes mais l’objectif est quant à lui bien fixé : rendre audibles ces rythmes urbains dont on ne perçoit plus forcément la musique.
- Opérateur de réseau – vu depuis la géographie
Auteur : Pierre Zembri
Première occurrence dans les travaux du Groupe réseaux (1985) devenu par la suite le GDR « Réseaux », mais en même temps une définition qui est restée assez vague, surtout si l’on se positionne dans le contexte institutionnel de l’organisation des transports, variable selon les pays mais aussi selon les périodes.La définition logique est celle de l’offreur de service, un peu sur le modèle de l’opérateur téléphonique, mais elle renvoie à une production intégrée, de l’infrastructure au service.
Exemple : l’ancienne SNCF d’avant 1997, à la fois gestionnaire d’infrastructures (GI), exploitant, et décideur de la consistance de l’offre, de la tarification, etc.
L’intégration des autorités organisatrices (AO) dans le système crée une complexité supplémentaire, sans qu’il soit possible de les dissocier clairement des opérateurs. Tout dépend en fait de leur implication dans la production du service. Ainsi, si l’AO se contente d’acheter une prestation en laissant toute latitude à l’exploitant de définir l’offre, elle n’est pas opérateur. En revanche, si elle conçoit l’offre, réduisant l’exploitant au rôle de prestataire de service disposant d’un degré d’autonomie limité (cas très répandu dans les villes françaises), elle est opérateur de fait. Une situation moyenne (l’AO définit les principes de l’offre, l’exploitant les met en œuvre) conduit à intégrer les deux parties en un rôle combiné d’opérateur.
Ici, on demeure dans les termes des débats des années 1990. La période la plus récente a vu émerger d’autres dimensions liées soit à des réformes, soit à des modifications dans les usages :
- apparition d’intégrateurs ou de metteurs en relation : élaboration de solutions « sur mesure » et affrètement de transporteurs en situation de simples prestataires de service. Des services de type Uber entrent à plein dans cette évolution mais on a vu apparaître des équivalents dans le domaine du transport collectif comme Flixbus : ce sont des opérateurs « virtuels » ne possédant aucune infrastructure ni aucun moyen de production. Ils captent la plus-value générée par la mise en relation sans prendre de risque industriel,
- élargissement du champ d’action des transporteurs traditionnels : ils débordent de leur spécialisation première pour rechercher les meilleurs moyens de captation de clientèle mettant en œuvre d’autres types de service, soit en les rachetant, soit en affrétant : cf. porte-à-porte SNCF,
- développement de modes individuels « collectivisés » : l’opérateur se contente de fournir une infrastructure (bornes, emplacements, etc.) et des véhicules à des utilisateurs qui se transforment en producteurs de service et organisateurs de leur propre mobilité. L’automatisation prévisible des vecteurs rendra à nouveau passifs les utilisateurs, tout en rendant les conditions de déplacement inégalables (point à point direct, temps de trajet utilisable à d’autres tâches que la conduite).
On approche d’un idéal qui est celui d’une individualisation extrême des prestations, et de leur combinaison : chacun deviendrait ainsi son propre opérateur. Mais en maîtrisant de façon inégale les différentes composantes de la chaîne mobilisée.
- Tiers lieux de travail
Auteur : Anne Aguiléra, Julie Perrin
La notion de tiers-lieu a été proposée au début des années quatre-vingt-dix par R. Oldenburg (1991), pour montrer la nécessité de (re)créer de nouveaux lieux de sociabilité dans des villes nord-américaines développées sur un modèle principalement fonctionnel, peu propice aux interactions sociales non « planifiées ». Depuis, le concept s’est élargi et diffusé, y compris auprès des acteurs de l’aménagement (Smits, 2015). Les tiers-lieux désignent désormais tous les lieux qui permettent de nouvelles façons de travailler, se rencontrer, échanger, se divertir ou encore créer tels que les jardins partagés, les espaces de coworking, les télécentres, les fablabs ou encore les ressourceries. Ils sont en partie conçus ou appropriés comme lieux de travail.
Un tiers-lieu de travail est un lieu dans lequel s’exerce ou peut s’exercer une activité professionnelle, et qui n’est ni le domicile ni le lieu de travail « classique » (Suire, 2013). Les typologies mettent en avant la multiplicité des modèles, des montages, modes de gestion et usages rencontrés (Burret, 2013, Liefooghe et al., 2016, Moriset, 2011 ; Smits, 2015, Zevillage, 2012). Voir la typologie du site participatif Zevillage (2012) : http://zevillage.net/2012/07/typologie-des-tiers-lieux-de-travail/. Les travaux conduits au LVMT proposent de distinguer les modèles de tiers-lieux de travail d’une part selon qu’ils sont conçus comme tels ou bien appropriés comme tels (espaces publics connectés), et d’autre part selon les enjeux qui leur sont associés. Nous différencions ainsi les tiers-lieux de travail qui répondent à des besoins nouveaux et très variés liés à de l’essor de l’économie numérique et de l’économie collaborative, à l’usage croissant des technologies de l’information et de la communication (TIC), ou encore au développement des start-ups et du statut d’auto-entrepreneur en France, de ceux qui répondent plus directement aux enjeux des mobilités liées au travail.
Pour les premiers, il s’agit de favoriser de nouvelles formes de travail, et en particulier des formes plus collaboratives et peu formalisées, adaptées notamment aux métiers du numérique. Ces lieux visent à faire se rencontrer des professionnels à des fins de formation de leur capital social individuel et de production d’un actif relationnel (Suire, 2013). Ils n’accueillent donc pas que les salariés d’une seule entreprise et sont conçus pour favoriser les échanges, la co-création, la créativité et l’innovation (Genoud, Moeckli, 2010 ; Moriset, 2011). L’idée centrale est celle de la sérendipité et du partage de connaissances entre des utilisateurs qui, s’ils ne vont pas forcément venir tous les jours, vont avoir une présence non anecdotique dans ces lieux, permettant (même sur seulement quelques mois) la construction de relations sociales et professionnelles propices à la créativité et à l’innovation.
La seconde catégorie de tiers lieux de travail, qui intéresse plus spécifiquement le LVMT, regroupe ceux qui sont mobilisés comme solutions alternatives autour d’une meilleure articulation entre travail et mobilités liées au travail. Dans ce cas, qu’ils soient appropriés ou conçus comme tels, la dimension collaborative et communautaire est (quasiment) absente (Smits, 2015 ; Liefooghe, 2016). Parmi les modèles de tiers-lieu de travail répondant à ces besoins, deux groupes se distinguent selon les réponses apportées à ces mobilités (figure « tiers-lieu de travail et mobilité liée au travail ») : un premier ensemble est constitué des tiers-lieux dont la vocation est la réduction des déplacements domicile-travail, sur le modèle des télécentres, et un deuxième ensemble est celui des tiers-lieux qui visent une gestion plus efficace des déplacements professionnels, comme les centres d’affaires.
Dans une optique de diminution des nuisances liées aux déplacements pendulaires, se développe une offre de tiers-lieu visant à limiter les déplacements domicile-travail. Le modèle principal est celui des télécentres, qui proposent des solutions de télétravail. La plupart de ces tiers-lieux de minimisation de la mobilité domicile-travail sont mis en œuvre ou soutenus financièrement par les pouvoirs publics dans des territoires peu denses, en périurbain et en zone rurale, où l’objectif est aussi une redynamisation démographique. Il s’agit de permettre aux actifs employés dans un pôle urbain de rester travailler tout près de leur domicile une ou plusieurs fois par semaine, tout en étant connectés à leur entreprise via les outils numériques. Ces tiers-lieux fournissent ainsi une solution alternative au télétravail à domicile. Ce dernier se heurte en pratique à des réticences à la fois de la part des entreprises pour des raisons de contrôle du travail à distance et aussi à cause des coûts liés à l’équipement d’un poste de travail chez la personne, et de la part des salariés, notamment du fait des risques d’isolement (Aguiléra et al., 2016).Les professionnels mobiles (se rendant à une réunion, une formation, etc.) constituent, par ailleurs, un autre marché, principalement investi par des acteurs privés. Le développement de tiers-lieux de travail est en effet également alimenté par les besoins de travail en cours de mobilité pour ceux qui se déplacent pour des réunions, pour participer à des salons professionnels, des conférences ou des formations (Aguiléra, 2008 ; Aguiléra, Proulhac, 2015 ; Crague, 2005 ; Vilhelmson, Thulin, 2001). Les déplacements professionnels sont source de perte de temps, du fait des trajets et des temps d’attente (entre deux trains, deux avions, dans une chambre d’hôtel, etc.). Un enjeu se dessine donc, pour les actifs et leurs employeurs, autour d’une meilleure gestion des temps « improductifs » inhérents à cette mobilité. Une option est de les convertir en temps de travail. Les ordinateurs portables, les smartphones et l’Internet mobile favorisent cette conversion, qui alimente d’une part l’usage d’espaces publics (y compris les moyens de transport) comme tiers-lieux de travail (Lyons et Urry, 2005) et d’autre part le développement, par des acteurs de l’immobilier, de tiers-lieux de travail spécifiquement dédiés aux professionnels mobiles (comme les centres d’affaires). L’enjeu pour les aménageurs est d’offrir de meilleures conditions de travail que dans les espaces publics aux professionnels qui sont en déplacement. Il s’agit donc de capter une clientèle qui travaille dans des conditions pas toujours adéquates dans les divers lieux qui jalonnent ses déplacements (dans les transports, dans les gares, dans les hôtels, etc.).
Les tiers-lieux destinés aux professionnels en mobilité proposent des solutions de location temporaire, y compris sur des durées très courtes (une heure), de bureaux et salles de réunions (à l’exemple de l’offre des centres d’affaires). Outre une connexion de qualité à Internet, ils offrent également un ensemble de services. Le choix de localisation est stratégique, car il s’agit de capter des professionnels entre deux moyens de transport, ou entre deux rendez-vous. Il faut donc être très proche des lieux où ces professionnels vont en réunion, ou attendent leur train ou leur avion. Pour l’instant, ces tiers-lieux sont principalement situés dans les quartiers d’affaires, les environs des gares et dans les aéroports.
Afin d’appréhender la diversité des tiers-lieux de travail, nous avons décliné une grille de lecture selon qu’ils sont appropriés ou conçus comme tels, selon qu’ils répondent aux évolutions du travail ou aux enjeux de mobilité liée au travail, et selon les solutions qu’ils apportent à ces différentes problématiques de mobilité. Il ne s’agit pas ici d’inventorier ou de cloisonner les différents modèles. Si les tiers-lieux de travail sont désormais investis à la fois comme enjeu de politique publique et comme nouveau marché par des acteurs de l’immobilier de bureau et de l’aménagement (Aguiléra et al., 2013 ; Smits, 2015 ; Liefooghe, 2016 ; Perrin, Aguiléra, 2016) cela ne se traduit pas par des modèles figés. En atteste l’exemple de centres d’affaires ouverts entre 2014 et 2015 dans des grandes gares voyageurs en France (Le Mans, Nancy, Bordeaux Saint-Jean). L’hétérogénéité des pratiques et de la clientèle professionnelle observées, qu’il s’agisse des types actifs présents (entrepreneurs, salariés en télétravail ou entreprises au besoin d’espace et / ou de localisation temporaires), de leurs liens au territoire (de passage ou résident), de leurs utilisations du train (ou pas), et de leurs usages de la gare, semble bousculer le projet initial : l’offre apparaît diversifiée, hybride de différents modèles et évolutive (Perrin, Aguiléra, 20016).
- Télétravail, vu depuis l’économie
Auteur : Anne Aguiléra
Il existe une certaine confusion autour de la notion de télétravail et de sa mesure. En particulier, une conception très extensive inclut toutes les formes de travail « à distance », y compris les personnes en déplacements professionnels ou travaillant dans les locaux d’un client (techniciens de maintenance, etc.). Or il nous semble important de distinguer le télétravail du travail mobile en raison des enjeux différents qui pèsent sur ces deux formes de travail (Aguiléra et al. 2016).
Ainsi, nous définissons le télétravail comme un travail salarié qui aurait pu être réalisé dans les locaux de l’employeur mais qui est effectué régulièrement hors de ces locaux, au lieu du domicile ou dans un bureau distant (comme un télécentre). Cette définition est très proche de celle de l’accord cadre européen sur le télétravail de 2002 « le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière », reprise ensuite par plusieurs accords professionnels nationaux. Elle a l’avantage de ne pas mélanger des formes de travail aux logiques différentes et de se centrer sur les attentes sociales dont le télétravail est l’objet : bien-être des salariés, coûts et efficacité pour les entreprises, réduction des coûts sociaux du navettage (déplacements domicile-travail) pour les autorités publiques. Le télétravail est en effet supposé accroître le bien-être des salariés : baisse de la fatigue due aux déplacements, contexte de travail moins stressant, meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. On 28 attend aussi qu’il procure d’importants gains économiques aux entreprises : baisse des coûts immobiliers et plus grande productivité du travail. Les autorités publiques en attendent enfin une baisse des coûts sociaux associés aux déplacements domicile-travail : diminution des coûts de transport, de pollution et de congestion. L’enrichissement des moyens de communication à distance et l’augmentation des contraintes environnementales renforcent ces attentes. Depuis les années 70, on prédit le développement rapide du télétravail. Dans un rapport du Centre d’Analyse Stratégique commandé en novembre 2009 par le Ministère, on peut lire que « le télétravail a un fort potentiel de développement qui pourrait concerner jusqu’à 50% de la population active en 2015, contre 30% aujourd’hui ». Plus récemment, dans un rapport de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Paris, Dominique Denis a écrit : « Il est consensuellement admis que le télétravail recèle un important potentiel de croissance économique, socialement et écologiquement responsable. Non seulement les postes éligibles au télétravail sont nombreux mais, de surcroît, le télétravail est plébiscité tant par les salariés que par les employeurs. ». Or le télétravail est loin d’avoir tenu ces promesses. Inégal selon les pays, son développement reste marginal, en tous cas loin des prédictions. La dernière Enquête Nationale Transport et Déplacement (ENTD), réalisée en 2008, a montré qu’en France moins de 10% des actifs déclarent télétravailler régulièrement ou occasionnellement. Paris (intra-muros) compte de loin la plus forte proportion de télétravailleurs. Les recherches menées au LVMT, en partenariat avec le GIS Marsouin et un chercheur de l’Université Paris Sud, sur les freins au développement du télétravail (du point de vue des entreprises et des salariés) ont montré que le télétravail qui se développe est le télétravail informel, c’est-à-dire non inscrit dans le contrat de travail. Car en voulant construire un cadre juridique ad hoc, on ne fait que révéler les obstacles à son développement, tant du côté des salariés que des entreprises. Il est par ailleurs limité à certaines catégories de salariés, les plus autonomes sur le plan du travail. Un deuxième résultat est que le télétravail peut se développer s’il est traité comme une des formes possibles de l’amélioration de la mobilité individuelle au lieu d’être présenté, de manière abstraite, comme une solution collective à la réduction de la congestion urbaine. Il apparaîtra alors concrètement comme la possibilité de décaler ses horaires ou de rester travailler chez soi telle matinée pour répondre à des problèmes particuliers de congestion (telle heure, tel jour). De telles pratiques informelles et souples, qui aujourd’hui se diffusent, finiront par inciter les entreprises à modifier leur organisation de façon à porter ces pratiques à une autre échelle. De manière plus générale, l’objectif est de flexibiliser les lieux de travail. Le développement de tiers lieux (bureaux temporaires, gares, aéroports…) où les gens peuvent continuer à travailler au cours de leurs trajets va dans ce sens. L’approche nécessaire est ainsi plus celle d’un aménagement de la mobilité urbaine individuelle liée au travail, notamment dans les grandes villes, que de celle de sa réduction collective.